« Une Algérie nouvelle » : Le projet constitutionnel algérien de mai 2020 y répond-il ?

Le projet constitutionnel algérien : une tentative de « démocratisation » ?

Le projet constitutionnel algérien se veut clairement une réponse aux attentes des manifestations ayant débuté le 22 février 2019. En effet, à la lecture de l’exposé des motifs, certaines formules mettent bien en évidence cette volonté. Ainsi on peut lire que ce projet a pour but de «renforcer le lien national». Il répond également à la volonté de prévenir et de sanctionner la corruption et insiste sur l’attachement de l’État algérien aux valeurs des «libertés démocratiques». Enfin, l’accent est mis sur l’intérêt du peuple algérien pour le système démocratique puisque le projet fait référence à plusieurs textes fondamentaux internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ou encore la Charte arabe des droits de l’Homme du 23 mai 2004. Concernant le dispositif relatif à l’organisation des pouvoirs, plusieurs principes sont posés à l’instar de celui de l’équilibre des pouvoirs, de la séparation des pouvoirs, ou encore le principe de la représentation démocratique (article 15 du projet). La volonté de construire «une Algérie nouvelle» telle qu’exprimé par les multiples manifestations depuis le 22 février 2019 y est. L’exposé des motifs montre également la volonté de l’Algérie de renforcer son influence dans le monde, dans le cadre d’un intérêt mutuel comme le mentionne l’article 31 du projet : «L’Algérie se réserve le droit de participer à des opérations de maintien et de restauration de la paix, donc on constate une véritable volonté pour ce projet constitutionnel de donner à l’Algérie une dimension internationale».

L’analyse que l’on propose aujourd’hui consiste à se poser la question suivante : le dispositif constitutionnel mis en œuvre permet-il finalement de garantir l’esprit que le préambule, redéfini, met en avant ? Le projet constitutionnel, qui deviendra du droit positif, va-t-il permettre, véritablement, une concrétisation qu’elle soit juridique ou politique de l’ensemble des principes proclamés dans l’exposé des motifs notamment dans le préambule de ce projet constitutionnel ?

Une sécurisation des libertés

La sécurisation des libertés se manifeste, par exemple, à travers l’article 34 du projet puisqu’il est mentionné qu’aucune restriction aux libertés ne peut intervenir si ce n’est à travers la loi. Donc, à l’avenir, seule la loi peut réduire une liberté. D’autre part, cet article insiste sur le fait que dans le cas où la loi interviendrait pour réduire une liberté, les motifs avancés ne pourront être que d’ordre public, de sécurité publique ou encore pour garantir l’existence et l’application d’une autre liberté qui, elle-même, est garantie par le texte constitutionnel. La sécurisation s’exprime aussi à travers un développement, plus soutenu, de certains droits fondamentaux tels que la presse (article 54), droits de la femme (article 40), droit à la vie privée (article 47) ou encore la liberté de réunion (article 52).

Le chef du gouvernement se voit octroyer une nouvelle prérogative puisqu’il lui revient de « procéder » à l’exécution des lois et règlements.

La recherche de la stabilité de l’État / la continuité du pouvoir

A la suite de la maladie du Président Bouteflika et des conséquences sur la vie politique, il était impératif de trouver une solution dans le cas où une telle situation se reproduirait. C’est pourquoi, afin de garantir une stabilité de l’État ainsi qu’une continuité du pouvoir, le projet propose la création d’un poste de vice-président. Celui-ci aurait alors comme fonction d’exercer les fonctions du président de la République au cas où le chef de l’État, pour cause de maladie grave et durable, se trouverait dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions. Dans ce cas-là, il reviendra à la Cour constitutionnelle de statuer sur l’incapacité du chef de l’État d’exercer ses fonctions à travers un vote à la majorité qualifiée de ses membres. Puis au Parlement, siégeant en congrès, de déclarer l’état d’empêchement du chef de l’État avec, là aussi, une majorité qualifiée (article 98).

La volonté de moraliser la vie politique

Ce projet attache une attention particulière à la question de la moralisation de la vie politique qui est un thème récurrent dans les manifestations populaires. Il s’agissait là d’une revendication importante de la part de la très grande majorité des citoyens algériens. Deux articles témoignent de cette volonté. L’article 123 a pour volonté de faire en sorte que les parlementaires s’investissent totalement dans l’exercice de leur mission. Ainsi il est demandé à ce que les lois et les résolutions puissent être adoptées à la majorité des membres de la Chambre concernée. Le second article pouvant être cité est l’article 127 qui concerne le mandat des parlementaires. Afin de mettre un terme à une certaine professionnalisation des mandats politiques, l’article vient limiter non seulement le nombre de mandats successifs, mais également le nombre de mandats dans le temps puisque le principe est posé que nul parlementaire ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ou séparés. Il en sera de même pour le mandat du Chef d’État. Concernant ce dernier, on observe aussi une sécurisation du principe de limitation du mandat à 5 ans comme du nombre successif ou séparé de mandats qui est limité à deux. De quelle façon ? En interdisant toute révision constitutionnelle sur ces questions (article 24). Cette moralisation de la vie publique touche également l’organe de contrôle constitutionnel (nouvellement dénommé «Cour constitutionnelle) et plus précisément la durée du mandat de ses membres. En effet il est proposé que ce mandat passe de 8 ans à 6 ans. Le fait d’écourter le mandat s’apparente à un message à l’attention de l’opinion publique et politique consistant à mettre en avant la modernisation de cet organe constitutionnel et sa démocratisation. La moralisation de la vie publique s’exprime aussi au niveau de la Cour des comptes puisqu’il est proposé que la durée du mandat de son président soit de 5 ans renouvelables une seule fois (article 208). Il s’agit là d’une rupture avec le droit actuel qui ne propose aucune limitation de durée. C’est ainsi que le président Abdelkader Benmarouf est en poste depuis sa nomination en 1995 par AbdelAziz Bouteflika.

La consolidation de la place du Premier ministre

Le Comité d’experts a proposé plusieurs modalités afin de revaloriser le statut du «Premier ministre». Tout d’abord, il est substitué à la notion de «Premier ministre» celle de «Chef de gouvernement» (article 101). Ici il y a la volonté clairement de soutenir le principe selon lequel, au sein du gouvernement, se trouve un «leader», qui aura pour fonction non seulement de coordonner l’action des ministres (comme c’est le cas aujourd’hui) mais aura autorité sur l’ensemble des ministres. Cette autorité du futur «Chef de gouvernement» au sein du gouvernement est clairement mentionnée à l’article 103 puisqu’il est indiqué qu’il revient au Chef du gouvernement d’élaborer le programme d’action de son équipe.
En outre, il doit le présenter en Conseil des ministres. Un autre élément témoigne de ce nouveau statut dont bénéficiera le Premier ministre, il se trouve au sein de l’article 102. Il faut savoir qu’actuellement les membres du gouvernement sont nommés par le Chef de l’État après consultation du Premier ministre. Le projet propose, quant à lui, que les membres du gouvernement, s’ils restent nommés par le président de la République, le soient «sur proposition du Chef du gouvernement». Le chef du gouvernement se voit aussi octroyer une nouvelle prérogative puisqu’il lui revient de «procéder» à l’exécution des lois et règlements alors qu’aujourd’hui, il «veille» à la mise en œuvre de ces derniers.

Un gouvernement plus efficace

Le projet constitutionnel souhaite également donner au gouvernement la marque de l’efficacité. Pour cela l’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi est conditionnée par le fait d’être accompagnée des textes d’application qui le concernent. Or, trop de textes qui sont votés par le Parlement ne sont pas suivis de textes d’application. Cette situation porte préjudice à la mise en place d’une politique efficace cohérente. Néanmoins on peut penser que le fait de mettre une telle condition à l’inscription d’un projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée peut avoir pour effet de ralentir le dépôt de projet de loi et ainsi la politique même du gouvernement. Par ailleurs, le gouvernement pourrait ne pas être très favorable à cette option. En effet, les projets de loi sont des textes généraux et transmettre également les textes d’application risque de voir l’Assemblée débattre sur ces textes alors qu’il s’agit de règlement. En outre, les parlementaires pourraient peut-être avoir un regard beaucoup plus critique sur le projet de loi qui leur est présenté en ayant tous les éléments concernant sa mise en œuvre.

L’encadrement des pouvoirs du Chef d’État

On remarque qu’il y a une certaine volonté de mieux délimiter les prérogatives du Chef d’État. Cette ambition s’exprime de multiples façons. Par exemple, le Chef d’État aura toujours la possibilité de décréter l’état d’urgence pour seulement une durée de 30 jours et non sans limitation de durée comme c’est le cas, aujourd’hui (article 112). Il nommera les ministres «sur proposition» du Chef du gouvernement (article 102). Si la possibilité de prendre des ordonnances demeure, en cas de vacances de l’Assemblée populaire nationale, le projet vient encadrer plus strictement l’utilisation d’un tel mécanisme (article 146). En effet, dans un premier temps, le chef de l’État doit prendre de telles ordonnances dans un délai très strict. Ensuite il doit les soumettre, dans le mois qui suit l’ouverture de la prochaine session, à chacune des Chambres du Parlement. Enfin, les ordonnances seront non seulement caduques si elles ne sont pas adoptées par le Parlement mais également si elles ne sont pas soumises au Parlement dans le délai d’un mois, à compter de la date d’ouverture de la prochaine session. La gestion des situations de crise majeures, à travers l’état d’exception, déclaré par le Chef d’État, fait l’objet d’un certain aménagement : limitation à 60 jours, obligation lui est faite d’adresser un message à la nation, une prorogation n’est possible qu’après un vote des Chambres réunies.

« La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple» et l’article 8 sou-ligne que «le peuple exerce sa souveraineté par des représentants élus ».

Vers un renforcement des droits de l’opposition

L’opposition de par son rôle constitue un élément déterminant de la vitalité d’une démocratie et de sa maturité. A ce titre, le Comité d’experts, conscient de tels enjeux, a consolidé les droits de l’opposition au sein du Parlement en lui garantissant (article 121) un contrôle de l’action gouvernementale, une participation réelle dans les différents organes des deux Chambres et notamment en lui assurant l’alternance à la présidence des commissions.

Le Parlement : un statut consolidé

Dans le cadre de la logique de rééquilibrage des pouvoirs, le Comité d’experts propose de consolider le statut du Parlement sur la base de plusieurs pistes. Tout d’abord, nous avons la volonté que le Parlement puisse légiférer plus longtemps dans le temps. Tel est l’objet de l’article 143 qui consacre une session annuelle d’une durée de 10 mois tout en précisant qu’elle commence le 2e jour ouvrable du mois de septembre et se termine au dernier jour ouvrable du mois de juin. Ce bornage de la période de travail permet au Parlement de ne pas cesser ses activités avant la fin de la période légale. La consolidation du statut du Parlement se vérifie également au niveau du domaine de la loi qui est étendu ou précisé dorénavant. C’est ainsi que l’article 144 du projet souligne que, dans l’avenir, la loi interviendra également dans les règles relatives à «la commande publique» ou encore en matière de «recouvrement de l’impôt». Cette valorisation du pouvoir législatif s’exprime aussi par une plus grande portée du principe de «contrôle de l’activité gouvernementale». En outre, l’article 160 pose le principe selon lequel le gouvernement présente au Parlement les documents et les informations nécessaires à l’exercice de sa mission de contrôle. Afin de renforcer la vitalité des Chambres parlementaires, il est proposé que le nombre de parlementaires devant être atteint, afin de déposer une proposition, soit de 15 et non plus de 20 (article 147). Cela va permettre, plus facilement, aux groupes d’opposition d’être à l’initiative de propositions de loi même s’il est peu probable qu’elles puissent être inscrites à l’ordre du jour d’une Assemblée. Il est proposé également que les commissions puissent interroger les membres du Parlement non sur les questions d’actualité mais sur les questions «d’intérêt général», ce qui permet d’élargir le contrôle (article 162).

Un contrôle constitutionnel accru

Le contrôle de constitutionnalité est un mécanisme que l’on retrouve aujourd’hui dans la très grande majorité des États. Il permet d’assurer l’autorité du texte fondamental sur l’ensemble des institutions constitutionnelles. L’Algérie ne pouvait échapper aux évolutions constitutionnelles au niveau mondial. C’est pourquoi le projet s’intègre dans une telle dynamique. Plusieurs éléments témoignent de cela. On observe que la dénomination de l’organe de contrôle constitutionnel a été modifiée puisqu’on ne parle plus de Conseil constitutionnel mais de «Cour» constitutionnelle. Ce changement de sémantique montre bien la volonté des rédacteurs de faire de l’organe constitutionnel une véritable juridiction et ainsi lui donner un véritable statut et donc une véritable autorité quant aux décisions que cet organe sera amené à prononcer. On observe également un contrôle de la légalité plus étendu puisque, dorénavant, la Cour se prononcera sur la conventionnalité d’une loi ou d’un règlement (article 198). L’étendue du contrôle est accru également puisque la Cour constitutionnelle pourra statuer sur les ordonnances. Dans le cadre de la procédure d’exception de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle pourra émettre également

des jugements sur les textes réglementaires (article 202). Le renforcement du statut de l’organe de contrôle constitutionnel passe aussi par une saisine beaucoup plus accessible pour les députés et conseillers. En effet, actuellement, cinquante députés ou trente membres du Conseil de la nation peuvent saisir l’organe constitutionnel. Le projet propose de réduire ce nombre à quarante pour la Chambre des représentants et à vingt-cinq pour la Chambre des Conseillers. Ces nouvelles dispositions vont sûrement permettre aux élus nationaux (notamment d’opposition) de saisir beaucoup plus facilement la Cour constitutionnelle (article 187) qui sera alors beaucoup plus active. Enfin, un dernier élément atteste du renforcement de l’organe de contrôle de constitutionnalité. En effet, actuellement, lorsqu’on regarde les dispositions constitutionnelles, on remarque que cette institution rend des «avis» (articles 189 et 191) mais également des «décisions». Pourtant, la loi fondamentale indique explicitement que les avis autant que les décisions s’imposent aux pouvoirs publics. Il y a ici une sorte d’incohérence puisqu’un avis laisserait penser que finalement le pouvoir est libre de sa décision. Le projet constitutionnel supprime la notion d’avis et demeurent seules les «décisions». Cette évolution semble logique puisque l’organe constitutionnel devient une véritable Cour, une véritable juridiction ne laissant ainsi aucun doute sur la portée de ces décisions.

Le projet constitutionnel algérien: une ambition manquée

À la lecture du projet, il semble, malheureusement, qu’il s’éloigne des principes même qui devaient le guider et que l’on retrouve tant dans l’exposé des motifs du projet que dans les modifications apportées au préambule. La rédaction d’un tel projet aurait été l’occasion de rompre avec l’immobilisme constitutionnel. Il est, à ce stade, un projet constitutionnel inabouti.

La question des droits fondamentaux : les faiblesses d’une reconnaissance

Le renforcement des droits fondamentaux se veut être un axe fort du projet constitutionnel comme en témoignent les nouvelles dispositions proposées dans le préambule. Or, de nombreux droits ont une portée avant tout déclarative sans valeur juridique. Il en est ainsi de l’article 27 où on peut lire: «les services publics fonctionnent selon les normes de qualité, d’efficience, de prospective et de responsabilité». En outre, de nombreux droits fondamentaux ne pourront trouver une réalité qu’a partir du moment où ils seront mis en œuvre par une législation. On peut citer, par exemple, l’article 20 qui dispose que «l’État veille à assurer un environnement sain en vue de protéger les personnes ainsi que le développement de leur bien-être». Cet article indique également que l’État «veille à améliorer la qualité de vie et assurer une éducation continue aux risques environnementaux». La nécessité de cette politique d’activation se manifeste explicitement, par exemple, au sein de l’article 34 qui précise qu’afin «de garantir la sécurité juridique, l’État veille, dans la mise en œuvre de la législation relative aux droits et libertés à assurer la lisibilité, l’accessibilité et la stabilité des textes juridiques». L’article 35 reprendra cette idée en disposant que «Les droits fondamentaux et les libertés sont garantis par l’État». De telles dispositions intéressant les libertés publiques, même si leur développement fait l’objet d’une attention particulière, restent tributaires d’une volonté politique dans la mise en œuvre. La question qui se pose dès lors peut être la suivante : la grande majorité des droits cités existent déjà au sein du texte fondamental actuel. Pourquoi donc le fait d’en approfondir certains augmenterait d’une manière significative la volonté politique de leur donner une réalité plus forte ? En outre, pour certains des droits reconnus, il existe déjà une législation d’application. Par exemple, l’article 39 pose le principe selon lequel «Toute forme de violence physique, morale et d’atteinte à la dignité est proscrite et réprimée par la loi». Or, le code pénal contient des dispositions sanctionnant de tels agissements. Il en est de même pour la notion de «torture» visée par l’article 39 du projet constitutionnel et qui se trouve sanctionnée dans le Code pénal (article 250 et suivants). Il semble qu’une telle démarche, de la part du Comité d’experts, s’apparente, avant tout, à une stratégie de communication à destination du peuple algérien et de ses revendications, lors des différentes manifestations. Il est, en effet, peu probable que le fait de condamner dans la constitution des faits qui sont déjà sanctionnés légalement puisse amener une évolution de cette législation pénale d’autant plus qu’en Algérie, comme dans de nombreux pays même occidentaux, un des problèmes qui se pose n’est pas forcément l’absence de loi mais bien l’application de celle-ci.

Un Chef d’État préservé par le projet de réforme

On peut être surpris de la contradiction entre la philosophie du projet, qui souhaite tendre vers un équilibre des pouvoirs comme en témoignent les nouvelles dis

positions proposées dans le préambule, et le dispositif constitutionnel lui-même. En effet, il semble que le Chef d’État voit ses prérogatives confortées comme le montrent plusieurs dispositions : il veille ainsi, en toute circonstance, à l’intégrité du territoire (article 88), il veille au respect de la constitution (article 88), il dispose du pouvoir réglementaire en concurrence avec le Chef du gouvernement (article 95.8), il lui est reconnu constitutionnellement la prérogative de nommer le président de la Cour des comptes ainsi que tous les membres dirigeants des autorités de régulation (article 96). Si le Chef de gouvernement nomme aux emplois civils de l’État c’est à condition que de tels emplois ne relèvent pas du pouvoir de nomination du Président de la République (article 110.7). Il apparaît également que le projet constitutionnel octroie un véritable pouvoir d’influence au Président de la République sur le futur «Chef du gouvernement». En effet, l’article 108 lui permet, après consultation de la majorité parlementaire, de nommer un Chef de gouvernement et le charger d’élaborer le programme de la majorité (On peut légitimement s’attendre qu’en cas de fait majoritaire, il demandera au «Chef de gouvernement» d’élaborer finalement le programme de la majorité présidentielle c’est-à-dire «son» programme. En outre, on peut tout à fait imaginer que cette possibilité de consulter la majorité parlementaire, avant la nomination d’un Chef de gouvernement, sera l’occasion pour celui-ci de donner son avis d’une part, sur le choix de tel ou tel candidat à la fonction de Chef du gouvernement et, d’autre part, sur le programme de la majorité parlementaire (période de cohabitation). On remarque aussi que l’article 146 élargit même les conditions de fond permettant au Président de la République de légiférer par ordonnance. Ainsi, à côté de l’hypothèse actuelle des «vacances» de l’Assemblée populaire nationale, il est rajouté qu’il en sera de même en cas «d’urgence». La référence à la notion «d’urgence», qui reste subjective dans sa définition et dans l’appréciation des faits, laisse une grande marge de manœuvre au Chef de l’État. Ce projet souhaite également, quelque part, sanctuariser le statut de la responsabilité politique du Chef d’État en lui permettant de nommer un Vice-Président et lui déléguer certaines fonctions (article 95).

A travers cette proposition, n’y a-t-il pas une volonté de protéger politiquement le Chef d’État ? Le Vice-Président ne serait-il pas alors un «fusible» ? Le chef d’État apparaît aussi comme un chef de guerre puisqu’il peut décider de l’envoi des troupes à l’étranger après approbation d’un vote à la majorité des 2/3 par le Parlement (article

95). On peut regretter que le projet constitutionnel ait maintenu la compétence du Chef d’État afin de nommer 1/3 des membres du Conseil de la nation (article 126) et cela alors même que l’article 7 de la constitution dispose que «La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple» et l’article 8 souligne que «le peuple exerce sa souveraineté par des représentants élus». La seule modification proposée, à ce sujet, concerne la nomination de personnalités des compétences nationales dans «les domaines scientifique, professionnel, économique et social» ce qui n’est pas un gage d’indépendance.

On peut s’étonner de la survivance d’une telle prérogative qui porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs en permettant au pouvoir exécutif de posséder des «relais» au sein de l’une des deux Chambres. D’ailleurs, il y a de fortes probabilités que de telles nominations se fassent, également, sur les affinités de ces personnalités avec le Chef d’État. Un dernier exemple peut illustrer la place toujours prédominante que tient le Président de la République. Dans le cadre de l’état d’exception, le projet précise que c’est seulement à l’issue des 60 jours que le Chef d’État doit soumettre les actes qu’il a pu prendre à la Cour constitutionnelle et cela pour un simple avis (article 114). Ce mécanisme de contrôle est peu protecteur des libertés et offre au Chef d’État une grande marge de manœuvre. En outre, l’obligation de soumettre la prorogation de l’état d’exception au vote des deux Chambres du Parlement, si elle peut constituer une certaine sécurité face aux abus possibles, aucune indication n’est donnée concernant la nature de la majorité devant être obtenue (simple, absolue, qualifiée). Or, dans le cas d’un vote à la majorité simple, la majorité politique au Parlement votera la prolongation dans l’hypothèse où nous sommes en présence d’une majorité présidentielle sous réserve que le Chef d’État acte, dans ce sens, et que les conditions de fond de l’état d’exception soient remplies. Mais ces dernières peuvent toujours porter à interprétation du fait de leur subjectivité.

Enfin, on peut également regretter que l’article 114 impose la durée de 60 jours de l’état d’exception dès sa déclaration effectuée. Nous pouvons penser qu’il aurait été plus opportun de laisser au Chef d’État le soin de déterminer cette durée en proposant la durée de 60 jours comme limite. Cela permettrait d’éviter d’éventuels abus et atteintes aux libertés fondamentales. De l’ensemble de ces arguments, il ressort clairement que le statut du chef d’État a été préservé. Mais faut-il s’en étonner lorsque, à la lecture de l’exposé des motifs du projet constitutionnel, on constate que la commission d’experts elle-même s’est volontairement mise en retrait de toute ambition consistant à vouloir réduire les prérogatives présidentielles ? A ce sujet, on peut lire : «À l’examen de cette question, un important débat a eu lieu au sein du comité. Trois questions ont polarisé l’attention dans l’objectif de limiter le pouvoir présidentiel: l’institution d’un Chef de gouvernement avec un programme propre, la suppression du pouvoir reconnu au président de la République de légiférer par voie d’ordonnance, la répartition du pouvoir de nomination entre le Président de la République et le Chef du gouvernement et la suppression du tiers présidentiel de la composition du Conseil de la Nation. A l’issue de ce débat, le Comité a conclu que l’adoption de pareille limitations allait le conduire à outre passer les missions qui lui étaient assignées». Ainsi l’exposé des motif, lui-même, laisse entendre que la lettre de mission du Président Tebboune ne comprenait pas un tel axe de travail.

Des nouveautés en «trompe l’œil»

On remarque que certaines dispositions sont présentées comme des nouveautés alors que de telles idées existent, actuellement, dans le texte fondamental. C’est ainsi qu’il est précisé, dans l’article 193, que la future Cour constitutionnelle «jouit de l’autonomie administrative et financière». Or, l’article 182 actuel dispose déjà que le Conseil constitutionnel «est doté de l’autonomie administrative et financière». Ce même article 193 donne pour mission à la future Cour constitutionnelle «d’assurer le respect de la constitution». Là également, on peut remarquer que les dispositions actuelles (article 182) mentionnent que «Le Conseil constitutionnel est une institution (…) chargée de veiller au respect de la Constitution».

La mise à l’écart du principe de «souveraineté populaire»

La place attribuée à l’application du principe de souveraineté populaire au sein des constitutions est un des éléments qui fondent, dans de nombreux pays, le degré démocratique du régime politique. Pourtant le projet constitutionnel semble écarter une pleine application de ce principe alors

même que le préambule du projet constitutionnel ne cesse de faire référence à la notion de peuple : «la résistance du peuple algérien», «Le peuple algérien exprime son ferme attachement aux droits de l’Homme», «le peule est la source du pouvoir» (article

7). Par exemple, il est assez étonnant que la constitution puisse faire référence à une procédure d’urgence (article 124) permettant au Parlement, sur demande du gouvernement, de voter les projets de loi tout en renvoyant à une loi organique le soin de définir cette procédure. Cette méthode rédactionnelle semble porter atteinte à la souveraineté populaire puisque les citoyens seront, peut-être, amenés à voter par référendum sur un texte constitutionnel qui prévoit une procédure d’urgence avec des enjeux politiques mais sans en connaître, auparavant, les modalités. En outre, si «le peuple est la source du pouvoir», il serait opportun de reconnaître initiative législative populaire, le veto populaire, la révocation populaire. De telles reconnaissances se seraient intégrées ainsi pleinement dans la philosophie du préambule non seulement

tel qu’il existe, aujourd’hui, mais également dans le sillage des modifications proposées au sein du projet constitutionnel.

La portée limitée du contrôle par-lementaire sur le gouvernement

Si des améliorations ont été apportées afin de tenter de renforcer le contrôle parlementaire sur le gouvernement, des doutes subsistent sur la portée de ces dispositions. Ainsi, l’article 160 du projet dispose que «Le gouvernement présente au Parlement, à sa demande, les informations et les documents nécessaires à l’exercice de ses attributions en matière de contrôle». Il aurait été opportun d’utiliser une formule telle que «Le gouvernement a l’obligation de présenter au Parlement toutes les informations et documents nécessaires à l’exercice de ses attributions en matière de contrôle. Ces informations et documents doivent lui être transmis dans un délai ne pouvant excéder 30 jours». Cette dernière formulation peut permettre une meilleure sécurisation de l’accès à de telles informations. D’autre part, on a pu observer également que le

contrôle s’exerce à travers l’obligation, pour le Chef du gouvernement de présenter son programme devant l’Assemblée nationale populaire qui doit l’approuver (104). Cependant, on peut légitimement penser que ce contrôle sera plus ou moins effectif en fonction de la majorité qui va se dégager au bénéfice du gouvernement mais également en fonction de la structuration du parti majoritaire (unité du parti, discipline ou, au contraire, divisions internes). Il peut paraître, quelque part, illusoire de croire qu’un véritable contrôle parlementaire puisse être effectué par une majorité parlementaire sur son gouvernement. C’est pourquoi il aurait été plus opportun peut-être d’aller plus loin dans les droits de l’opposition.