Le Zanu-PF, parti au pouvoir au Zimbabwe depuis 45 ans, a annoncé, la semaine dernière, la prolongation du mandat du président Emmerson Mnangagwa jusqu’en 2030, une décision décriée par l’opposition comme une manipulation « anticonstitutionnelle et anti-populaire ».
Mnangagwa, 83 ans, deuxième président du pays, est arrivé au pouvoir en novembre 2017 à la suite du coup d’État qui a renversé Robert Mugabe. Élu pour la première fois en 2018, puis réélu en 2023, son mandat actuel devait se terminer en 2028, après deux mandats de cinq ans.
« Il a été résolu que son mandat soit prolongé au-delà de 2028, jusqu’en 2030 », a déclaré Ziyambi Ziyambi, secrétaire aux affaires juridiques du parti, lors de la 22e Conférence nationale annuelle du Zanu-PF, tenue le 18 octobre à la ville orientale de Mutare.
Les délégués ont éclaté en applaudissements après l’adoption de la motion, confirmant la tendance du parti au pouvoir à un mode de gouvernance sécuritaire depuis l’indépendance en 1980.
Avec une majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale, le Zanu-PF contrôle le Parlement, même si toute modification nécessiterait un amendement constitutionnel et potentiellement un ou plusieurs référendums, selon des experts juridiques.
Les alliés de Mnangagwa justifient la prolongation par le « bon travail » accompli et la nécessité de poursuivre la mise en œuvre de la Vision 2030 visant à bâtir « une société prospère et autonome à revenu intermédiaire supérieur d’ici 2030 », une ambition que d’aucuns jugent trop audacieuse au vu de l’état actuel de l’économie.
Selon le FMI, la croissance du Zimbabwe est tombée à 1,7 % en 2024, en raison d’une grave sécheresse ayant affecté les cultures et la production hydroélectrique, au moment où le pays croule toujours sous une inflation annuelle à trois chiffres.
Ringisai Chikohomero, consultant à l’Institut d’études sur la sécurité (ISS, basé à Pretoria), précise qu’au cœur du problème zimbabwéen se trouve une crise de confiance et un profond déficit de crédibilité envers ses dirigeants, la capacité de l’État et l’intégrité de ses institutions.
Dans la plus récente enquête d’Afrobarometer, 72 % des Zimbabwéens estiment que le pays va dans la mauvaise direction et que moins de 45 % font confiance au gouvernement.
« Ceci est le résultat de plusieurs années de gouvernance médiocre et irresponsable, d’une attaque continue contre les institutions de l’État, d’une corruption débridée et d’un opportunisme politique », a-t-il souligné.
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Alors que Mnangagwa, qui se présente comme un « constitutionnaliste », ne s’est pas prononcé sur la prolongation éventuelle de son mandat, l’annonce a été immédiatement critiquée par l’opposition, dont certaines figures devraient tenir, mardi, une conférence de presse sur ce qu’ils qualifient de « crise constitutionnelle ».
Le ton a été déjà donné la semaine dernière lorsque le président du Parti de l’Alliance des nationalistes, Divine Hove, a affirmé que M. Mnangagwa ne doit pas rester silencieux au moment où ses ministres réclament l’agenda 2030, assurant que ces derniers doivent être rappelés à l’ordre, car ils violent la Constitution.
« Le Zanu-PF devrait consulter les autres partis politiques pour dire que nous estimons nécessaire de modifier la Constitution et en donner la raison », a-t-il expliqué, rappelant qu’entre 1980 et 2013, la Loi fondamentale du pays a été modifiée 19 fois.
L’ancien ministre des Finances et avocat, Tendai Biti, était plus incisif : « Nous combattrons les cartels corrompus et les syndicats qui ont systématiquement pillé le Zimbabwe et cherchent désormais à s’emparer de l’État », a-t-il déclaré.
Le leader du Parti progressiste du Zimbabwe, Timothy Chiguvare, a quant à lui estimé que « la situation dans le pays nous obligera à organiser des élections prochainement. Il est impossible que le peuple zimbabwéen accepte des élections après 2028 ».
« Nous savons que notre pays est l’un des plus riches du monde. Il possède tous les minéraux nécessaires pour le redresser en six mois », a-t-il affirmé, en frappant le Zanu-PF là où ça fait mal le plus : l’économie.
Un constat que partage M. Chikohomero pour qui « la stabilité économique restera probablement hors de portée pendant le reste du mandat de Mnangagwa, selon la manière dont son administration abordera la situation ».
L’ancien cadre du Zanu-PF, Saviour Kasukuwere, a ridiculisé la Vision 20230, avertissant que cette démarche se terminera mal pour le président comme pour le Zimbabwe.
« Il (Mnangagwa) rêve, et il s’est condamné à un échec monumental. La cupidité n’a pas de limites, et cela conduira à un énorme désastre pour le pays », a prévenu l’ex-ministre du Gouvernement local, des Travaux publics et du logement (2015/2017).
Sur la même lancée, le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) a menacé d’une action de masse contre ce qu’il considère comme une « trahison envers la démocratie et un recul pour la nation ».
« Ce n’est pas dans l’intérêt des travailleurs ordinaires ni des citoyens que la Constitution soit mutilée pour servir des ambitions individuelles égoïstes », a martelé le secrétaire général du ZCTU, Tirivanhu Marimo.
Ethan Mathibela, qui dirige une faction de l’Association des Anciens Combattants de la Guerre de Libération, a affirmé que le groupe consultait des organisations civiques pour construire un front uni contre le projet 2030.
« Le leadership doit assumer ses responsabilités, et non chercher à prolonger le pouvoir. Être un vrai constitutionnaliste ne se limite pas à le dire, mais consiste à le démontrer en respectant la loi », a-t-il relevé.
Alors que la bataille bat son plein sur le terrain juridique, certains observateurs estiment que la prolongation est une de ces manœuvres dans lesquelles excelle le Zanu-PF, mais qui cache mal cette fois-ci les rivalités croissantes qui déchirent le parti.
Selon eux, une faction souhaite que Mnangagwa reste en fonction jusqu’en 2030, tandis qu’une autre prépare le terrain pour Constantino Chiwenga, actuel vice-président et rival du chef de l’État.
Lors de la conférence de Mutare, le secrétaire aux affaires juridiques du parti avait accusé M. Chiwenga de « manquer de respect aux pères fondateurs du parti » de manière « répréhensible », allant jusqu’à évoquer « la trahison ».
Pris à partie pour avoir défendu un document critique sur le fonctionnement du parti, l’ancien général de l’armée, qui a contribué à renverser Robert Mugabe lors du coup d’État de 2017, n’a pas répondu aux critiques.
Associant la conférence du parti à un théâtre où fourmillent suspens, extravagance et intrigues, Sydney Kawadza, journaliste indépendant, s’est demandé qui est ressorti plus fort de Mutare, Mnangagwa ou Chiwenga ?
En attendant la réponse de l’opposition, mardi, « le verdict, comme toujours dans le théâtre du pouvoir du Zanu-PF, reste en délibération », a-t-il conclu.

