En 2024, les demandeurs de visas africains ont perdu près de 40 milliards de francs CFA en frais non remboursés. Une situation dénoncée par les sociétés civiles comme profondément injuste et révélatrice d’un déséquilibre structurel dans les rapports entre l’Afrique et l’Europe.
C’est une statistique qui provoque l’indignation sur le continent africain : selon une étude du Lago Collective, cabinet de recherche basé à Londres et spécialisé dans la mobilité internationale, les demandeurs africains de visas Schengen ont perdu en 2024 l’équivalent de 67,5 millions de dollars US, soit près de 40 milliards de francs CFA, en frais non remboursés. Une somme astronomique, évaporée dans le vide bureaucratique des consulats européens, sans possibilité de remboursement en cas de refus — pourtant extrêmement fréquents.
Les données, consolidées à partir des chiffres de la Commission européenne et du ministère britannique de l’Intérieur, révèlent une réalité implacable : pour une immense majorité de candidats africains à la mobilité légale, la demande de visa est un pari coûteux et souvent perdu d’avance.
En haut du classement figurent l’Algérie avec 10,3 milliards de FCFA de frais non remboursés et le Maroc avec 6,45 milliards, représentant à eux deux plus de 40 % du total continental. Suivent l’Égypte (2,95 milliards), le Nigeria (2,83 milliards), la Tunisie (2,12 milliards) et le Sénégal (1,82 milliard). La Côte d’Ivoire, le Ghana, le Cameroun et le Kenya complètent ce triste palmarès.
Lire aussi : Diamond League d’Oslo : Cherotich domine le 3000m steeple en 9 min 02sec 60
Le principal grief exprimé par les demandeurs réside dans l’absence de remboursement en cas de refus, quand bien même la demande aurait été complète, motivée et légitime. Chaque visa court séjour coûte environ 80 euros (plus les frais additionnels des intermédiaires ou agences, parfois imposés par les consulats eux-mêmes). Or, les taux de refus restent particulièrement élevés pour les ressortissants africains : plus de 50 % dans certains pays, contre des taux bien plus faibles pour les demandeurs originaires d’Amérique du Nord ou d’Asie de l’Est.
Une manne financière pour les États européens
Derrière l’inefficience bureaucratique, c’est aussi une logique de rente institutionnelle qui se dessine. Car ces frais non remboursés génèrent des recettes substantielles pour les États européens, sans obligation de transparence sur leur usage. Une politique que certains observateurs assimilent à une forme de “taxe à l’échec migratoire”, visant à décourager la mobilité légale tout en rentabilisant les refus.
Pour les chercheurs du Lago Collective, « cette mécanique injuste contribue à alimenter les frustrations et à fragiliser les liens entre l’Europe et l’Afrique. Elle met à mal les principes mêmes de la coopération internationale et de la mobilité équitable ». D’autant que les pays africains, à l’instar du Maroc ou du Sénégal, multiplient les accords de partenariat migratoire avec Bruxelles en matière de facilitation des visas.
Face à cette hémorragie financière « injustifiable », les voix se lèvent sur le continent. En Côte d’Ivoire, au Nigeria ou au Cameroun, des ONG et collectifs de jeunes appellent désormais à des campagnes de sensibilisation pour dénoncer ce système. Plusieurs pétitions circulent pour exiger la remise en question des frais non remboursables et la mise en place de mécanismes de transparence et de recours.
La question interpelle aussi les institutions africaines. Au sein de l’Union africaine, des diplomates commencent à évoquer la possibilité de négociations collectives avec l’Union européenne pour réclamer un rééquilibrage de la politique des visas, jugée discriminatoire. Des appels émergent également pour que les pays africains adoptent des politiques de réciprocité, en durcissant les conditions d’entrée pour les ressortissants européens, ou en exigeant la suppression des visas pour leurs propres citoyens dans les pays où la réciprocité est respectée.
En définitive, cette question des frais de visa non remboursés, bien qu’apparente comme un simple dysfonctionnement administratif, traduit en réalité une fracture politique et symbolique plus profonde. Elle illustre la résistance européenne à l’ouverture vis-à-vis des mobilités africaines, même lorsqu’elles s’inscrivent dans les cadres légaux. Et elle nourrit un ressentiment grandissant sur le continent, perçu comme un partenaire mineur, malgré les discours d’égal à égal.