Tunisie : Kais Saied riposte aux critiques internationales et accuse l’Occident d’« ingérence flagrante »

Tunis n’entend pas se laisser dicter sa conduite. C’est, en substance, le message adressé dans la nuit du 28 au 29 avril par le président Kais Saied, après une salve de condamnations émanant de la France, de l’Allemagne et du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. Ces critiques visaient le traitement réservé à plusieurs figures de l’opposition récemment condamnées à de lourdes peines de prison dans le cadre d’un procès qualifié de politique par les ONG et plusieurs chancelleries occidentales.

« Les déclarations et communiqués émanant de parties étrangères sont inacceptables (…) et constituent une ingérence flagrante dans les affaires intérieures de la Tunisie », a fustigé M. Saied, en recevant son ministre des Affaires étrangères. La présidence a diffusé ce communiqué dans un climat de tensions croissantes entre Tunis et ses partenaires internationaux, sur fond de crispation politique et de répression accrue.

Face aux critiques pointant le manque de transparence du procès — dont l’exclusion d’observateurs internationaux —, le président tunisien a renvoyé la balle : « Si certains expriment leur regret que des observateurs aient été exclus, la Tunisie peut aussi envoyer des observateurs auprès de ces parties et leur demander de modifier leurs législations. » Une pique à peine voilée à Paris et Berlin, accusés d’un deux poids deux mesures.

La tension est montée d’un cran avec la réaction du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, qui a jugé le procès « entaché de violations du droit à un procès équitable et du droit à une procédure régulière ». Une procédure à la fois opaque et controversée, qui concerne plusieurs personnalités de premier plan, dont le constitutionnaliste Jawhar Ben Mbarek et d’autres figures de la mouvance opposée à Saied, accusées de « complot contre la sûreté de l’État ». Toutes contestent les charges, évoquant un dossier vide, monté de toutes pièces à des fins d’intimidation politique.

Lire aussi : Blanchiment de 190 millions d’euros: le fils de Macky Sall convoqué par le parquet…

Volker Türk s’est dit « gravement préoccupé » par les motivations politiques sous-jacentes à ces condamnations, exhortant les autorités tunisiennes à « ne pas instrumentaliser les lois sur la sécurité nationale ou la lutte antiterroriste pour faire taire la dissidence ». Une critique frontale visant l’usage extensif d’un décret controversé adopté en 2022, criminalisant la diffusion de « fausses informations » – texte dont les contours flous autorisent une répression large des voix critiques, y compris des journalistes et des avocats.

Vers une dérive autoritaire assumée

Depuis le coup de force du 25 juillet 2021, par lequel Kais Saied a suspendu le Parlement et s’est arrogé l’ensemble des pouvoirs exécutif et législatif, la Tunisie semble s’éloigner un peu plus chaque mois du chemin de la transition démocratique amorcée en 2011. L’espoir né du Printemps arabe, où Tunis faisait figure de modèle régional, paraît désormais balayé par une dynamique autoritaire assumée.

Outre les poursuites judiciaires contre l’opposition, la société civile dénonce un rétrécissement dramatique de l’espace public. Les arrestations arbitraires, les campagnes de harcèlement judiciaire, et l’étouffement des libertés d’expression alimentent un climat de peur. Des organisations tunisiennes et internationales alertent sur un « verrouillage » progressif du débat démocratique.

La réponse cinglante de M. Saied aux critiques occidentales trahit une rupture de plus en plus assumée avec les partenaires traditionnels de la Tunisie. Alors que le pays traverse une crise économique et sociale profonde, et dépend encore partiellement de soutiens financiers extérieurs, cette escalade rhétorique pourrait isoler davantage le régime tunisien sur la scène internationale.

« La Tunisie était un modèle et une source d’inspiration après 2011 », a rappelé Volker Türk, appelant le pays à revenir « sur le chemin de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains ». Un vœu pieux, à l’heure où la présidence tunisienne semble privilégier la confrontation à l’apaisement, au nom d’une souveraineté désormais érigée en rempart contre toute critique.