26.9 C
Casablanca
AccueilEconomie et EntrepriseÉconomieTransition verte en Afrique : un potentiel immense freiné par le sous-financement

Transition verte en Afrique : un potentiel immense freiné par le sous-financement

Bien que responsable de moins de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, l’Afrique figure parmi les régions les plus touchées par les effets du changement climatique. Cette injustice climatique s’accompagne d’une capacité d’adaptation limitée, d’un accès restreint aux financements, et d’une faible attractivité des projets pour les investisseurs internationaux. Pourtant, le continent ne manque ni de ressources naturelles, ni de capital humain, ni de potentiel en énergies renouvelables. C’est ce paradoxe que met en lumière le nouveau rapport « Catalyzing Africa’s Sustainable Transition: Insights to Impact a Climate-Resilient Future », publié le 30 mai 2025 par Casablanca Finance City (CFC) et Oxford Economics Africa.

Présenté à Casablanca, ce rapport s’inscrit dans le cadre de la dixième édition de la série “Africa Insights” et offre une analyse rigoureuse des obstacles, des leviers et des perspectives pour accélérer la transition verte du continent africain.

Les besoins annuels en financement climatique de l’Afrique sont estimés à 190 milliards de dollars d’ici à 2030, alors que le continent n’a reçu que 52,1 milliards de dollars en 2022, soit seulement 3,3 % des flux mondiaux. Cette sous-finance est d’autant plus préoccupante que 82 % de ces ressources proviennent encore du secteur public (dont 43 % via les banques multilatérales de développement), avec une participation marginale du secteur privé à hauteur de 18,2 %. De plus, les financements actuels restent largement concentrés sur l’atténuation plutôt que sur l’adaptation, qui ne capte que 32 % des fonds, bien en deçà des besoins urgents.

Le rapport, présenté par Deon Fourie, économiste principal chez Oxford Economics Africa, identifie cinq secteurs stratégiques à fort potentiel pour une transition climatique juste, inclusive et soutenable. Le premier est celui des énergies renouvelables : en Afrique subsaharienne, près de 600 millions de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité. Le continent doit installer environ 300 GW de capacités d’ici à 2030 pour combler ce retard. Ensuite, l’économie bleue, encore largement sous-exploitée, représente déjà 300 milliards de dollars de PIB et 50 millions d’emplois, avec un potentiel estimé à 1 000 milliards de dollars à moyen terme.

Lire aussi : Côte d’Ivoire: vers la réhabilitation de 155.000 hectares de forêts dégradées

Le troisième secteur est l’agriculture intelligente, essentielle pour un continent où 95 % des cultures dépendent des précipitations, malgré ses 25 % de terres arables mondiales. Les infrastructures résilientes constituent également un axe crucial : d’ici 2100, 13 des 20 plus grandes mégapoles mondiales seront africaines, ce qui impose une anticipation massive en matière d’urbanisme durable. Enfin, les minéraux critiques représentent un levier clé, l’Afrique détenant 30 % des réserves mondiales de minerais essentiels à la transition énergétique mondiale, comme le cobalt, le lithium et le manganèse.
Pour répondre à ces défis, le rapport recommande des instruments de financement innovants : finance mixte, obligations vertes et sociales, échanges dette-nature, et développement des marchés volontaires du carbone. L’Afrique détient déjà 10 % du marché mondial du crédit carbone et pourrait atteindre 25 % d’ici 2030, générant jusqu’à 7 milliards de dollars, sous réserve de mécanismes robustes de certification et de suivi.

Casablanca Finance City : catalyseur régional

Le rôle des centres financiers internationaux tels que CFC est souligné comme essentiel. CFC agit comme passerelle entre capitaux mondiaux et projets africains, en proposant un cadre réglementaire attractif pour les investisseurs responsables et des standards ESG adaptés. En octobre 2024, CFC a signé un accord avec la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) pour créer un marché régional volontaire du carbone, en ligne avec la stratégie nationale bas carbone du Maroc.

Lamia Merzouki, directrice générale adjointe de CFC, a déclaré que l’Afrique peut devenir l’usine du monde, en matière de développement durable. Il faut pour cela structurer les conditions d’attractivité des investisseurs et mobiliser tout l’écosystème.

Le rapport met aussi en exergue le leadership du Maroc, pays africain parmi les moins vulnérables au changement climatique selon l’indice ND-GAIN (score de 0,37 en 2022). Dès les années 1990, le Royaume a intégré la question climatique à son agenda politique. L’exemple phare du complexe solaire Noor Ouarzazate, la plus grande centrale solaire à concentration au monde (580 MW), témoigne de cette ambition. Cofinancé à hauteur de 2,5 milliards de dollars, le projet fournit de l’électricité propre à près d’un million de foyers.

L’engagement du Maroc se manifeste également sur la scène continentale, notamment avec l’Initiative Royale pour une co-émergence africaine lancée à la COP22 de Marrakech, où furent créées trois commissions climatiques régionales africaines.

Le rapport conclut par dix recommandations clés, incluant l’encouragement des partenariats public-privé, la mobilisation de la diaspora africaine, le soutien aux marchés carbone, l’amélioration des données environnementales, et le renforcement des capacités locales via la formation et le transfert technologique.

À quelques mois de la COP 30, le message est clair : l’Afrique est prête à jouer un rôle de premier plan dans la réponse climatique mondiale, à condition de pouvoir compter sur une mobilisation forte, rapide et coordonnée des capitaux, des compétences et des volontés politiques.

L’Afrique n’a pas besoin de compassion, mais d’investissement, de confiance et d’accès équitable aux ressources financières mondiales pour bâtir une croissance durable. La transition verte du continent représente moins un fardeau qu’une formidable opportunité économique et géostratégique pour le XXIe siècle.

Articles récents