À l’heure où le continent africain subit de plein fouet les effets du dérèglement climatique, la 5ᵉ Conférence Ministérielle de l’Initiative pour l’Adaptation de l’Agriculture Africaine (AAA) s’est tenue ce mercredi à Meknès, en marge du Salon International de l’Agriculture au Maroc (SIAM). Un rendez-vous de haut niveau qui a réuni ministres, experts, bailleurs internationaux et praticiens agricoles autour d’un thème désormais crucial : « Agroforesterie et Résilience Climatique : Une Vision Africaine pour la Sécurité Alimentaire et le Développement Durable ».
Entre 1991 et 2021, la température moyenne sur le continent africain a augmenté de 0,3°C par décennie, un rythme supérieur à la moyenne mondiale, alerte le dernier rapport du GIEC (AR6, Chapitre 9). La fréquence accrue des sécheresses, l’intensification des vagues de chaleur et l’instabilité des régimes pluviométriques mettent en péril la productivité agricole, notamment celle des cultures vivrières comme le maïs, le sorgho, le riz ou le blé, dont les rendements pourraient chuter de 5 % à 25 % d’ici 2050. Cette vulnérabilité est exacerbée par la dégradation des sols et l’expansion des zones arides.
Les plus exposés à ces bouleversements sont les petits exploitants agricoles, qui représentent près de 60 % de la main-d’œuvre rurale et dépendent en grande partie de l’agriculture pluviale. Faiblement outillés, souvent isolés des dispositifs de financement et de formation, ils peinent à s’adapter à un climat de plus en plus hostile.
Face à ces défis, les participants à la conférence ont mis en avant l’agroforesterie fruitière comme une stratégie d’adaptation à fort potentiel. Cette pratique, qui consiste à intégrer des arbres fruitiers dans les parcelles cultivées, permet de régénérer les sols, d’accroître la rétention d’eau, de diversifier les revenus des agriculteurs, tout en contribuant à la séquestration du carbone. En plus de ses bénéfices écologiques, elle améliore l’apport nutritionnel local en rendant les fruits accessibles aux communautés rurales.
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Lancée lors de la COP22 à Marrakech en 2016, l’Initiative AAA ambitionne de doter l’agriculture africaine d’un cadre structurant pour renforcer sa résilience climatique. La Conférence ministérielle de Meknès s’inscrit dans cette dynamique. Elle vise à inscrire l’agroforesterie fruitière au cœur des politiques nationales d’adaptation, à harmoniser les cadres réglementaires pour sécuriser les investissements, à valoriser les chaînes de valeur des produits agroforestiers et à intégrer cette approche dans les Contributions Déterminées au niveau National (CDN).
Mais malgré son potentiel avéré, le déploiement de l’agroforesterie se heurte à plusieurs freins. L’accès restreint aux semences et plants fruitiers, le morcellement foncier, le déficit de formation des agriculteurs et le manque de financements adaptés limitent l’adoption massive de cette pratique. Les petits exploitants, en particulier, peinent à assumer les coûts initiaux liés aux plantations et à la gestion agroforestière sur le long terme.
Face à ces défis, les ministres réunis à Meknès plaident pour la création de mécanismes financiers novateurs et de programmes de formation technique renforcés. Des incitations économiques ciblées pourraient également favoriser l’intégration des arbres fruitiers dans les pratiques agricoles courantes.
Au-delà des enjeux agricoles, cette conférence constitue aussi un moment de diplomatie climatique stratégique pour l’Afrique. À quelques mois de la COP30, qui se tiendra en novembre 2025 à Belém, au Brésil, les pays africains entendent porter une voix unifiée en faveur des solutions fondées sur la nature. L’agroforesterie fruitière pourrait y être mise en avant comme levier de transition écologique, mais aussi comme vecteur de croissance économique inclusive.
Les débats ont également souligné le rôle social de l’agroforesterie, notamment dans la création d’emplois ruraux pour les jeunes et les femmes, et sa capacité à revitaliser les économies locales par la valorisation de produits transformés, l’agrotourisme ou encore la certification carbone.
À l’issue des travaux, les participants devraient adopter une déclaration ministérielle commune appelant à un engagement accru pour l’agroforesterie africaine. Ce texte servira de socle à l’élaboration d’une feuille de route continentale, préparant les positions africaines pour la COP30 et servant de levier pour mobiliser les financements internationaux.
L’Afrique, par cette conférence, affirme son ambition de ne plus être seulement spectatrice des politiques climatiques mondiales, mais bien actrice de solutions innovantes et durables, ancrées dans ses territoires et pensées pour ses réalités