Avec son élection à la présidence du Malawi, Peter Arthur Mutharika opère un comeback spectaculaire qui ne sera pas de tout repos, dans un pays sorti presque exsangue de cinq années de turbulences économiques et de catastrophes naturelles.
Le leader du Parti démocratique progressiste (DPP) a remporté le scrutin du 16 septembre avec 3.035.249 voix (56,8%), contre 1.765.170 (33%) pour le président sortant Lazarus Chakwera du Parti du congrès du Malawi (MCP), a annoncé, mercredi soir à Lilongwe, la présidente de la Commission électorale du Malawi (MEC), Annabel Mtalimanja.
Elle a précisé que 5.347.787 votes valides ont été exprimés sur 5 502 982, représentant 76,4 % de participation, sur un total de 7,2 millions d’électeurs inscrits. Les bulletins nuls s’élevaient à 155.225, soit 2,8 %.
Plus tôt dans la journée, Chakwera avait reconnu sa défaite et assuré avoir appelé son rival pour le féliciter, évoquant « une avance insurmontable » de Mutharika dans ce quatrième duel entre les deux hommes.
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Mutharika (85 ans), ancien avocat et professeur de droit diplômé de Yale, a déjà dirigé le pays de 2014 à 2020, avant d’être battu par Chakwera (70 ans), suite à l’annulation de l’élection de 2019 par la Cour constitutionnelle en raison d’irrégularités massives.
Le Malawi, nation enclavée d’Afrique australe, dont la moitié de la population (plus de 21 millions d’habitants) a moins de 35 ans, a été gouverné par le MCP, depuis son indépendance en 1964 jusqu’aux premières élections multipartites de 1994.
Depuis la fin du système de parti unique, le Front démocratique uni (UDF), le Parti démocratique progressiste (DPP), le Parti du peuple et le MCP ont tous exercé le pouvoir à tour de rôle.
Bien que crédité d’avoir réduit l’inflation et lancé d’importants projets d’infrastructure, Mutharika, qui est le frère de l’ancien président Bingu wa Mutharika, décédé en fonction en 2012, a été confronté à des scandales de népotisme et de corruption.
Capitalisant les réalisations accomplies durant son premier mandat, malgré les accusations de favoritisme brandies par ses détracteurs, Mutharika a articulé sa campagne électorale autour de l’économie, talon d’Achille du bilan du président sortant Chakwera.
Ancien enseignant en théologie et prédicateur, Chakwera n’avait aucune expérience politique lorsqu’il prit la tête du MCP en 2013. Candidat malheureux en 2014, il a finalement triomphé en 2020, mais son bilan reste émaillé de difficultés économiques et d’accusations de corruption.
Chrispin Mphande, historien à l’Université de Mzuzu et expert en politique de développement, a expliqué que Mutharika a tiré parti de la faible capacité de décision de Chakwera, des pénuries de carburant et de son approche lente pour résoudre les problèmes de rareté alimentaire et de devises étrangères.
« Malgré le développement des routes urbaines, Chakwera n’a pas répondu aux attentes du Centre. Le Centre dépend de l’agriculture, mais le MCP l’a perdu à cause de la hausse des prix des engrais », a-t-il expliqué.
Pour Boniface Dulani, professeur associé en sciences politiques à l’Université du Malawi, Chakwera était jugé principalement sur la manière dont son gouvernement a géré l’économie, au cours d’une période marquée par la vie chère et la pénurie des produits et services essentiels.
Dulani a estimé que les Malawites se sont tournés vers Mutharika parce qu’il est une personnalité connue, et que beaucoup espèrent qu’il peut apporter un certain niveau de stabilité économique.
Le professeur de droit à l’Université du Cap, Danwood Chirwa, a quant à lui soutenu qu’en plus de capter le vote du Nord, Mutharika a mieux performé dans le Centre, aggravant ainsi la situation pour Chakwera.
« La défaite de Chakwera résulte de son incapacité à défendre son bastion [le Centre] et à voler le vote du Nord, ce qui lui aurait facilement permis de franchir la barre », a-t-il soutenu.
Le Malawi, un des pays les plus pauvres du monde, est passé dernièrement par des années particulièrement éprouvantes, aggravées par le Covid-19, le cyclone Freddy ayant fait 1200 morts en 2023, et la sécheresse qui a frappé l’Afrique australe en 2024.
Ces catastrophes ont provoqué une flambée des prix alimentaires et plongé de nombreux Malawiens dans l’extrême pauvreté, au moment où la crise s’est exacerbée par un manque de devises étrangères, la dévaluation de la monnaie nationale, des pénuries de carburant et de fréquentes coupures d’électricité.
Selon un sondage Afrobarometer (2024), 58% des citoyens citent la faim et les pénuries alimentaires comme problème majeur, 28% la vie chère et l’agriculture, et 26 % la santé. En zones rurales, la sécurité alimentaire prime. En zones urbaines, l’inflation, supérieure à 20% depuis plus de trois ans, est la principale inquiétude.
La Banque mondiale prévoit une croissance économique de seulement 2% cette année, tandis que le nombre de Malawites vivant dans la pauvreté devrait augmenter de plus de 400.000 personnes, pour atteindre 15,8 millions.
Un programme du Fonds monétaire international (FMI) a été interrompu en mai après avoir échoué à restaurer la stabilité macroéconomique. Le gouvernement avait alors déclaré que le plan consistait à négocier un nouveau programme avec le FMI après les élections.
Autant dire que le second mandat de Mutharika, loin d’être une sinécure, promet d’avoir du pain sur la planche.