Ce mercredi 16 juillet, le président ivoirien Alassane Ouattara est reçu -en toute discrétion- à l’Élysée par Emmanuel Macron. Officiellement en visite privée dans l’Hexagone depuis une dizaine de jours, le chef d’État ivoirien clôture son séjour français par un entretien à huis clos avec son homologue français, loin des caméras, loin des micros, mais au cœur d’une séquence politique qui inquiète bien au-delà des frontières ivoiriennes.
Si la présidence française se garde pour l’instant de commenter le contenu de la rencontre, plusieurs sources diplomatiques concèdent, en privé, que l’inquiétude grandit dans les capitales européennes à l’approche du scrutin présidentiel prévu le 25 octobre prochain. Les signaux envoyés par Abidjan ces dernières semaines n’ont rien de rassurant. Une grande partie de l’opposition ivoirienne a été exclue de la course, parfois de façon brutale, au motif de condamnations judiciaires controversées. Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé, Tidjane Thiam… autant de figures emblématiques de l’alternance démocratique qui ne figurent plus sur les listes électorales. Dans les rangs du pouvoir, on justifie ces radiations par un strict respect des textes. Dans ceux de l’opposition, on y voit au contraire une instrumentalisation de la justice destinée à verrouiller le jeu politique.
Le président Ouattara, lui, entretient le flou. Officiellement, il n’a pas encore confirmé s’il briguerait un nouveau mandat. Pourtant, son parti, le RHDP, l’a déjà désigné comme son candidat lors d’un congrès organisé fin juin, dans un climat d’euphorie militante mais aussi de fortes crispations populaires. Dans les rues d’Abidjan, la défiance monte. Une partie de la société civile conteste une liste électorale jugée incomplète, truffée de doublons et peu représentative des jeunes majeurs. Des appels à une réforme urgente, voire à un report de l’élection, se font entendre avec de plus en plus d’insistance.
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Dans ce contexte tendu, la visite d’Alassane Ouattara à Paris prend une signification particulière. Si la forme reste privée, le fond est profondément politique. La France, depuis le départ contraint de ses forces armées du Sahel central, considère la Côte d’Ivoire comme l’un de ses derniers alliés fiables en Afrique de l’Ouest. La base militaire française de Port-Bouët demeure un pivot stratégique dans la région. La coopération sécuritaire est dense, notamment dans la lutte contre l’infiltration djihadiste au nord du pays. À cela s’ajoutent des enjeux économiques majeurs, de la filière cacao à l’investissement dans les infrastructures, que l’État ivoirien veut renforcer avec le soutien de ses partenaires européens.
Mais cette relation étroite est aujourd’hui mise à l’épreuve. À Paris comme à Bruxelles, on redoute un scénario de chaos post-électoral, comme en 2010 ou en 2020. Une crise politique majeure en Côte d’Ivoire serait une onde de choc pour toute la région du Golfe de Guinée, à l’heure où le Bénin, le Togo et le Ghana tentent de préserver leur équilibre. À l’Élysée, certains diplomates plaident pour que la France rompe avec une posture trop prudente et pousse clairement en faveur d’un scrutin ouvert, équitable et transparent. Mais la marge de manœuvre est étroite. Toute pression explicite risquerait de nourrir les accusations d’ingérence et de réactiver les discours antifrançais, toujours prompts à ressurgir dès que Paris s’exprime sur les affaires africaines.
Pour Alassane Ouattara, cette visite est aussi l’occasion de sonder les lignes rouges françaises. Le président ivoirien sait que son avenir politique dépend autant de sa capacité à maintenir l’ordre à Abidjan que de son aptitude à rassurer ses partenaires extérieurs. Il vient chercher des garanties, des soutiens, mais aussi un signal : que la France demeure à ses côtés, à condition que la stabilité démocratique de son pays ne soit pas compromise au passage.
Rien n’a filtré officiellement sur les échanges de ce 16 juillet. Mais derrière les murs dorés de l’Élysée, il ne s’agissait pas simplement d’un entretien entre deux chefs d’État amis. Il s’agissait d’un moment de vérité. Car si Paris échoue à encourager un processus électoral crédible en Côte d’Ivoire, la relation franco-africaine, déjà bousculée, risque de perdre l’un de ses derniers piliers. Et si Alassane Ouattara choisit de forcer le destin sans offrir les garanties démocratiques minimales, il pourrait bien se retrouver isolé sur la scène internationale, au moment même où il cherche à assurer sa place dans l’histoire politique du pays.