Le message que Sa Majesté le Roi Mohammed VI a adressé au Sommet « L’Afrique pour l’Océan », co-présidé à Nice par Son Altesse Royale la Princesse Lalla Hasnaa et le Président Emmanuel Macron, le 9 juin, s’inscrit résolument dans la catégorie des discours qui fondent. Plus qu’un texte circonstanciel, il s’agit d’un véritable manifeste civilisationnel, un projet de refondation du lien entre l’Afrique et ses espaces maritimes.
Ce message Royal, à la fois sobre dans sa diction et dense dans ses implications, déploie une vision d’une remarquable cohérence stratégique. Il mêle le souffle géopolitique à la profondeur écologique, l’ambition économique à l’exigence solidaire, la souveraineté à la mémoire. L’océan, ici, n’est pas un simple décor naturel : il est une matrice d’identité, un levier de puissance, un legs en partage.
Dès l’abord, le Roi place l’Afrique face à son reflet océanique, non plus comme une victime d’un passé de prédation, mais comme une conscience géographique en éveil. Le littoral africain — trente mille kilomètres d’horizons partagés — n’est plus décrit en termes de potentiel inerte, mais en termes de responsabilités souveraines.
« Si les mers et les océans africains sont riches, ils sont également vulnérables. Stratégiques, mais sous-optimisés. Prometteurs, mais encore peu protégés. »
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Ce triptyque antithétique, d’une grande justesse stylistique, exprime à lui seul toute la tension du continent entre abondance naturelle et marginalisation systémique. Il ne s’agit donc pas d’admirer la mer, mais d’entrer en action. Le verbe du Roi est un appel à la transition d’une logique contemplative à une logique d’appropriation : assumer enfin la maîtrise de cet espace, en pensée comme en pratique.
Ce qui frappe dans le message Royal c’est l’ampleur de la conception du fait maritime. Loin de se limiter à l’écologie ou au commerce, l’océan est envisagé dans sa pleine pluridimensionnalité stratégique : il est à la fois nourricier, énergétique, climatique, territorial. Il est, selon l’expression si éloquente du Souverain, le reflet de « ce que nous sommes, ce que nous consommons, ce que nous exploitons et, par conséquent, ce que nous léguerons ».
Ce passage n’est pas simplement poétique : il contient une densité éthique remarquable. Il inscrit l’espace maritime dans une dialectique du temps, entre ce que l’on prend et ce que l’on transmet, et y ancre un devoir moral intergénérationnel.
Une vision structurée autour de trois axes majeurs
Le Roi expose ensuite une architecture conceptuelle claire, articulée autour de trois axes fondamentaux. Mais ici, la rigueur du plan n’exclut ni la finesse du style, ni la profondeur du sens.
D’abord, la croissance bleue. Le Roi récuse une écologie de luxe, réservée aux sociétés repues, pour affirmer la mer comme pilier de croissance équitable. L’économie bleue, dans sa bouche, n’est pas un slogan mais une stratégie. Le vocabulaire, techniquement précis – aquaculture durable, énergies offshore, biotechnologies marines, portuaire, logistique – témoigne d’une maîtrise concrète des enjeux. Et le Maroc, loin de donner des leçons, s’avance en exemple vivant : Tanger Med, Nador West-Med, Dakhla Atlantique deviennent les noms propres d’une vision en marche.
Ensuite, une coopération sud-sud en partage du même océan. Là où d’autres prônent l’intégration continentale en abstraction, le Roi l’inscrit dans la mer comme communauté de destin. Le message est clair : il ne suffit pas de partager un littoral, encore faut-il partager une gouvernance. « Le défi n’est pas seulement national : il est continental. » souligne le Roi Mohammed VI.
Cette phrase, d’une limpidité ciselée, élève la solidarité maritime au rang de projet politique. Elle appelle l’Afrique à une voix commune, à une sécurité partagée, à une ambition collective sur l’échiquier mondial de la biodiversité, de l’exploitation génétique marine, de la valeur ajoutée logistique.
Enfin, les synergies atlantiques. C’est sans doute là que le message Royal atteint sa portée géopolitique la plus saisissante. Le Roi redonne à la façade atlantique africaine une centralité longtemps niée. Le mot inertie est ici utilisé avec force : la géographie ne doit plus être subie, elle doit être réinventée.
Dans ce sens, l’Initiative des États africains atlantiques n’est pas une alliance de façade mais plutôt un projet de reconfiguration. Le projet de gazoduc reliant l’Afrique de l’Ouest au Maroc, prolongé jusqu’à l’Europe, devient dans cette vision un vecteur de géoeconomie coopérative, mais aussi une expression d’une souveraineté énergétique africaine assumée.
Ainsi tout au long de son message, le Roi n’affirme jamais le Maroc comme une puissance surplombante, mais comme un acteur au service de l’Afrique. L’engagement du Royaume est présenté avec justesse et mesure : il est ferme sans être dominateur, ambitieux sans être hégémonique.
« Le Maroc s’engage avec énergie et détermination à prendre sa part de l’œuvre collective. »
Le style ici est celui du service mais d’un service éclairé, structuré, visionnaire.
En définitive, le discours Royal opère un déplacement fondamental et transforme l’océan, longtemps perçu comme marge ou fracture, en centre et en lien. Il redonne à l’Afrique une vision maritime à la hauteur de son histoire et de ses aspirations. Ce message ne parle pas seulement de mer, il parle de maîtrise, de mémoire, de métamorphose.
L’Afrique, dans la vision Royale, ne se contente plus d’être observatrice de ses rivages. Elle en devient l’architecte, la protectrice et l’inspiratrice. Et le Maroc, fidèle à son destin de trait d’union, trace la voie d’un continent qui regarde l’horizon non comme une limite, mais comme un avenir.