La Commission judiciaire d’enquête sur la criminalité, l’ingérence politique et la corruption dans le système de justice pénale entame ses travaux, mercredi à Pretoria, avec l’audition d’un premier témoin à l’origine d’un grand déballage qui, loin de faire l’unanimité du spectre politique, risque d’exacerber davantage les clivages à la veille des élections de 2026.
Un impressionnant dispositif de sécurité a été mis en place autour d’une faculté de droit transformée en salle d’audience pour ce que beaucoup qualifient de moment charnière dans la lutte de l’Afrique du Sud contre la corruption, un fléau qui gangrène l’économie du pays.
Le commissaire de police du KwaZulu-Natal, Nhlanhla Mkhwanazi, est le premier à livrer, pendant cinq jours consécutifs, son témoignage devant cette commission, dite Commission Madlanga, du nom d’un juge retraité de la Cour constitutionnelle, chargé d’en présider les procédures.
Lors d’une conférence de presse explosive, en juillet dernier, Mkhwanazi a fait trembler tout le système judiciaire, accusant des responsables gouvernementaux et des hauts gradés de la Police sud-africaine de corruption.
Le 13 juillet, le président de la République Cyril Ramaphosa a annoncé la mise en place d’une commission sur ces accusations qui ont créé un nuage de controverses, alors que d’autres membres du secteur judiciaire seraient également impliqués.
Dans la foulée, le ministre de la Police, Senzo Mchunu, a été placé en congé, le commissaire adjoint de la police, Shadrack Sibiya, a été suspendu, au même titre que de nombreux hauts cadres dans divers départements, au grand bonheur d’une presse toujours avide de déballer les allégations concernant un réseau criminel sophistiqué qui se serait infiltré jusque dans les structures policières et de renseignement du pays.
Devant la Commission, Mkhwanazi sera appelé à s’expliquer sur des allégations d’ingérence politique, y compris son accusation du ministre de la Police suspendu d’avoir illégalement ordonné le démantèlement de l’Unité d’enquête sur les assassinats politiques, une décision qu’il estime destinée à entraver les investigations sur des réseaux criminels liés au pouvoir.
Pour mener à bien sa mission, fixée pour une période de six mois, la Commission Madlanga bénéficie d’un budget conséquent de 147,9 millions de rands (plus de 8 millions USD) qui sera prélevée sur l’argent du contribuable au titre des exercices financiers 2025 et 2026.
Dans un contexte politique rudement éprouvé par les clivages, il n’en fallait pas plus pour éveiller les suspicions des uns et des autres, certains acteurs ayant remis en cause l’utilité de cette Commission et sa capacité de produire des résultats tangibles, en comparaison avec un coût aussi élevé.
A commencer par le parti uMkhonto weSizwe (MK, opposition) qui a qualifié la Commission de « spectacle politique de mise en scène judiciaire », prédisant qu’elle ne produirait guère plus qu’ »un tas de recommandations non contraignantes ».
« Elle ne mènera pas à des arrestations. Elle n’éradiquera pas la criminalité. Elle ne mettra pas fin à la culture de l’impunité qui a vidé notre système judiciaire de sa substance », a déclaré le porte-parole national du MK, Nhlamulo Ndhlela, soutenant que cette Commission « n’est pas un instrument de justice, mais un outil d’ingérence politique ».
Le parti a déposé une requête urgente auprès de la Haute Cour de Gauteng pour interdire cette Commission du fait qu’elle est, selon lui, « inconstitutionnelle, politiquement motivée et constitue un gaspillage de fonds publics ».
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« Il n’y a aucune logique à créer encore une autre commission d’enquête, surtout lorsque le rapport à 1 milliard de rands de la Commission Zondo sur la capture de l’État prend la poussière alors que ceux qui ont commis une trahison continuent d’échapper à la justice », a-t-elle martelé.
La Commission Zondo, officiellement créée en 2018, a mis au jour des preuves accablantes de capture de l’État, de fraude et de corruption. Ses rapports finaux, s’étalant sur des milliers de pages, ont cité des ministres, des PDG et des entreprises publiques impliqués dans le pillage de l’État.
Le porte-parole de Build One South Africa (BOSA), Rogers Solomons, a affirmé que le budget de la Commission Madlanga ne serait justifié que s’il conduisait à des actions concrètes.
« Le problème avec les commissions d’enquête, c’est que leurs recommandations ne sont pas juridiquement contraignantes et finissent par traîner sur un bureau quelque part à prendre la poussière », a-t-il estimé.
Pour Karam Singh, porte-parole de l’organisation anti-corruption Corruption Watch, « les commissions d’enquête n’ont pas un bon bilan en matière de responsabilité finale et de conséquences pour les auteurs de fautes ».
« Leurs conclusions et recommandations ne sont pas contraignantes et doivent être mises en œuvre par une direction politique prête à en assumer les conséquences », a-t-il soutenu, assurant que Corruption Watch restera mobilisée, aux côtés d’autres organisations de la société civile, pour suivre de près les travaux de la Commission.
Alors que les audiences se poursuivent à Pretoria, nombre d’observateurs affirment que, sauf si cette Commission aboutit à des poursuites et à de véritables réformes, elle risque simplement de rejoindre le cimetière des enquêtes avortées qui ont marqué la démocratie sud-africaine.
« Les révélations de la Commission Zondo prennent toujours la poussière — aucune reddition de comptes », a rappelé l’analyste politique Ntsikelelo Breakfast.
La Commission Seriti sur l’affaire des armes de 1999 a été qualifiée de « blanchiment » après avoir disculpé des personnalités politiques et économiques de premier plan, une Haute Cour ayant annulé ses conclusions.
La Commission Marikana, créée après le massacre par la police de 34 mineurs en 2012, a recommandé des poursuites et des réformes policières. Pourtant, 13 ans plus tard, la plupart des familles attendent encore justice.