L’Afrique devra réinventer son propre modèle de justice puisé de ses racines culturelles

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Ousmane Thiam

Le procès sur l’assassinat de Thomas Sankara au Burkina Faso condamnant l’ancien président Blaise Compaoré d’une peine à perpétuité vient remettre sur la table de légitimes questions quant à la force des institutions judiciaires africaines, leurs indépendances et leurs capacités à « dire le droit« .

Souvent subalternes aux pouvoirs exécutifs, l’appareil judiciaire dans les pays africains sert souvent de massue pour traquer les opposants aux régimes. Dire que l’impartialité de cette justice est en berne sous nos tropiques, est un truisme. La mainmise du politique est clairement indéniable dans tous les pores du corps judiciaire dans plusieurs pays en Afrique. Mais l’Afrique peut-elle véritablement dire le droit sans le « référant-substrat colonial » ? En d’autres termes que resterait-il d’africain si l’on serait tenté de supprimer tout ce qui nous vient d’ailleurs de nos lois et normes ? L’Afrique est-elle capable d’inventer sa propre justice ? Autant de questions légitimes dont le seul fait de nous les poser, dévoile clairement le problème Africain.

Entendons-nous bien. Il ne s’agit aucunement de nous défaire des autres. Ce qui est de toute façon techniquement impossible dans ce monde mondialisé où l’effet papillon bat son plein et où l’on note de plus en plus un enchevêtrement des relations internationales à tel enseigne qu’une guerre entre deux Etats européens, impacte directement des pays africains sur leur économie et leur sécurité. Il ne s’agit pas également de nier aux sociétés humaines tout leur génie de l’emprunt intelligent des pratiques. Il s’agit surtout de dire que le continent a un problème de référentiel. Il a un manque criard d’éléments de base socio culturel sur lequel il peut s’appuyer pour dresser des perspectives socioéconomiques.

Du Magna Carta au leviathan de Hobbes, de la philosophie politique grecque aux théories de séparation des pouvoirs de Montesquieu, il est presque impossible d’entendre évoquer une source africaine de droit dans l’histoire des idées politiques. Pour certains comme Sarkozy (discours de Dakar), il n’y a pas de doute, l’Afrique n’a pas d’histoire si ce n’est celle liée à l’époque coloniale. Toutes les sources d’idées politiques sont donc essentiellement issues de cet héritage culturel occidental. L’Afrique répète, recopie ces modèles sans jamais se référer à ses propres sources socioculturelles. Aux concerts des nations, le continent africain est souvent spectateur, pas de proposition de note musicale, ni de voix faisant autorité, il est appelé à danser ou à observer. Pourtant l’Afrique a de quoi ravir les bonnes oreilles.

Du modèle africain de justice

Une petite fouille archéologique dans notre histoire dévoilerait le potentiel énorme de modèles socio-économiques que l’Afrique possède pour inspirer le monde à la lumière de ses propres traditions. Prenons l’exemple de la justice. Aujourd’hui, plusieurs sont les alternatives au système carcéral actuel qui domine le monde, porté par la notion de justice de condamnation et de sanction. Ce modèle de justice a présenté ses limites quand il s’agit par exemple de juger tout un peuple qui a commis un crime et de le condamner et le mettre en prison.  Techniquement ce n’est pas possible. Ou comment comprendre la pertinence d’une condamnation par contumace ? Certains pays comme le Canada ou la nouvelle Zélande parlent de justice de réparation. Pourtant l’Afrique a depuis belle lurette inventé son modèle de juridiction.

Il est clair qu’aujourd’hui nos « justices importées » sont souvent l’œuvre d’un « Copier-coller » sans remodelage ni adaptation avec nos propres réalités semant un tohu bohu juridique sans fin. Elles s’inspirent toutes des modèles occidentaux et ne sont pas du tout réparatrices, elles condamnent et sanctionnent un fait, une personne, une justice de « vengeance » qui ne règle pas du tout la douleur et les peines de certains… Emprisonner un meurtrier à vie ou même le condamner à mort ne pourra jamais réparer la douleur que ressentent les proches de la victime par exemple.

Les défenseurs de la justice réparatrice pensent que le système actuel qui s’exprime par la confrontation et la vengeance, ne peut répondre aux besoins ni des victimes, ni des contrevenants. Ils avancent comme argument, le fait que la justice réparatrice offre aux victimes une occasion de jouer un rôle actif dans le processus… Aujourd’hui, plusieurs pays africain ont recours à ces formes traditionnelles de justices mais l’exemple le plus parlant reste celle du Rwanda l’a bien expérimenté. En effet le Rwanda a instauré le « gacaca », une forme autochtone de règlement des litiges, une justice réparatrice et restaurative puisée des traditions du pays. Cette justice populaire a permis de réconcilier les populations hutues et tutsies.

S’il est vrai que quelques pays africains essaient de rétablir ce genre de juridiction populaire puisée des traditions, il faut tout de même reconnaitre que dans presque toute l’Afrique, du Nord au Sud, d’Est en Ouest en passant par le Centre les lois et normes sont essentiellement de sources occidentales. Compte tenu de toutes ces richesses culturelles en Afrique, l’exigence de revoir et repenser les fondements de notre modèle socioéconomique au-delà de la justice, voir même de le réinventer à l’aune de nos propres traditions s’impose.  Aux politiques d’en faire une priorité !