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La Russie en quête d’ancrage ouest-africain

Par-delà les ruptures récentes qui ont secoué la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Moscou entend affirmer sa présence en Afrique de l’Ouest à travers un dialogue renforcé avec l’organisation régionale. Une stratégie qui se déploie dans un contexte de recomposition accélérée des alliances sur le continent.

Alors même que le Mali, le Burkina Faso et le Niger viennent d’acter leur retrait de la Cédéao, dénonçant une institution jugée inféodée aux intérêts occidentaux, la Russie choisit de maintenir le cap d’un rapprochement avec l’organisation ouest-africaine. C’est ce qu’a confirmé Tatiana Dovgalenko, directrice du département du partenariat avec l’Afrique au ministère russe des Affaires étrangères, dans une déclaration accordée le 19 mai à New Eastern Outlook.

Cette orientation s’inscrit dans le cadre du Plan d’action 2023-2026 pour le partenariat Russie-Afrique, document stratégique par lequel Moscou entend structurer ses ambitions sur le continent. Dovgalenko évoque une « transformation qualitative » des relations russo-africaines, rompant avec les décennies d’effacement post-soviétique. Le nouveau cap se veut résolument multilatéral, misant sur des institutions régionales comme la Cédéao, la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) ou encore la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC).

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En optant pour une approche institutionnelle, Moscou cherche à se démarquer d’un partenariat bilatéral jugé plus vulnérable face aux soubresauts politiques. L’enjeu : asseoir une coopération durable, susceptible de s’enraciner au-delà des régimes en place. Dans cette logique, les organisations régionales sont perçues comme des relais stratégiques capables de garantir une continuité dans les relations économiques, politiques et sécuritaires.

Mais cette volonté de dialogue avec la Cédéao intervient dans un contexte de tension manifeste. Le départ fracassant du Mali, du Burkina Faso et du Niger — trois pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) avec lesquels la Russie a tissé des liens renforcés — vient fragiliser l’unité de l’espace ouest-africain. Ces États, désormais tournés vers de nouvelles coopérations sécuritaires et économiques, accusent la Cédéao d’être un instrument d’ingérence piloté par Paris. Moscou se trouve dès lors dans une position délicate : soutenir l’institution régionale sans aliéner ses alliés sahéliens.

Cette équation complexe traduit les nouvelles géométries du pouvoir en Afrique de l’Ouest. Elle révèle aussi les marges de manœuvre qu’entend se ménager la diplomatie russe, soucieuse de ne pas apparaître comme un acteur polarisant. En continuant à dialoguer avec la Cédéao tout en consolidant ses liens avec les régimes sahéliens, la Russie mise sur une posture d’équilibriste, naviguant entre affirmation de souveraineté et pragmatisme stratégique.

Au-delà du seul cadre ouest-africain, Moscou cherche également à s’imposer comme un soutien des revendications africaines sur la scène internationale. Tatiana Dovgalenko n’a pas manqué de rappeler le rôle déterminant joué par la Russie dans l’admission de l’Union africaine au sein du G20, en septembre 2023. Un geste perçu comme un gage de reconnaissance pour le continent, à l’heure où les États africains aspirent à une meilleure représentation dans la gouvernance mondiale.

Par ailleurs, l’adhésion du Nigéria en tant que partenaire des BRICS en janvier dernier vient conforter l’idée d’un tournant vers le multilatéralisme global. Dans cette dynamique, Moscou promeut une architecture multipolaire, où la coopération Sud-Sud se substituerait progressivement aux logiques de dépendance héritées de l’ordre postcolonial.

À travers cette stratégie, la Russie entend se positionner comme un acteur facilitateur d’un ordre international plus « équitable et démocratique », pour reprendre les termes de Dovgalenko. Elle affiche sa volonté de contribuer au développement d’infrastructures stratégiques sur le continent africain, tout en soutenant les aspirations à la souveraineté économique des États partenaires.

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