Alors que les petits États insulaires d’Afrique peinent à maîtriser leur dépendance au fioul lourd, les énergies renouvelables offrent une voie de sortie inédite et potentiellement exemplaire pour l’ensemble du continent.
Dispersés aux confins des océans Atlantique et Indien, les micro-États insulaires africains, de l’île Maurice au Cap-Vert en passant par les Comores et Sao Tomé-et-Principe, incarnent un paradoxe : confrontés à des défis structurels similaires — isolement géographique, exiguïté du marché, vulnérabilité climatique —, ils affichent pourtant des trajectoires énergétiques contrastées. Leur horizon semble aujourd’hui s’ouvrir sous l’effet d’une nouvelle ère : celle des énergies renouvelables.
Dans ces territoires isolés, la production d’électricité a longtemps été synonyme de combustion de diesel et de fioul lourd importés, exposant les économies insulaires à la volatilité des cours internationaux et à un fardeau financier inégal. « Plus l’île est petite, plus le coût unitaire de l’électricité est prohibitif, faute d’économies d’échelle », rappelle James Ellsmoor, directeur général de la société Island Innovation. À titre d’exemple, le Cap-Vert consacre près de 7,5 % de son PIB à l’achat de carburants fossiles, une charge particulièrement lourde pour un pays où les infrastructures de transport d’énergie demeurent fragmentées.
Ces contraintes pèsent directement sur les ambitions de développement et exacerbent la vulnérabilité de ces États, déjà en première ligne face aux effets du dérèglement climatique. Les Seychelles, menacées par la montée des eaux, et Madagascar, parmi les nations les plus pauvres au monde, témoignent de la diversité de ces réalités insulaires.
Face à ce constat, la transition énergétique prend la forme d’une « révolution silencieuse ». Les technologies renouvelables, en tête desquelles l’énergie solaire, offrent des perspectives d’adaptation particulièrement prometteuses. « L’énergie solaire, associée au stockage, constitue la plus grande opportunité pour les îles », estime Ellsmoor, convaincu de la pertinence de solutions modulaires. Le Cap-Vert, pionnier dans ce domaine, a ainsi inauguré en 2010 l’un des plus vastes parcs solaires d’Afrique subsaharienne, et la part du solaire a atteint 13 % de son mix énergétique en 2022.
Les Seychelles innovent avec des installations solaires flottantes pour pallier la rareté foncière. À Mahé, la plus grande île de l’archipel, un projet de 5,8 MW mené par l’entreprise française Qair promet d’exploiter les lagons pour diversifier la production électrique.
Si le vent offre un potentiel plus limité à proximité de l’équateur, le stockage sur batterie s’impose comme levier décisif. L’exemple de Curaçao, dans les Caraïbes, résonne comme un modèle de transformation : l’île projette de porter la part des renouvelables à 70 % dès 2027 grâce à un partenariat avec l’entreprise technologique Wärtsilä, qui met en œuvre un système de batteries et des logiciels de pilotage énergétique. « Ces solutions, éprouvées dans un environnement insulaire, peuvent être déclinées ailleurs », souligne Anders Lindberg, président de Wärtsilä Energy. Y compris dans des contextes industriels isolés, comme les sites miniers enclavés d’Afrique.
Lire aussi : L’Afrique engage sa révolution numérique avec le passeport biométrique
Le Cap-Vert s’est fixé des cibles ambitieuses — 50 % de renouvelables en 2030 et 100 % en 2040 —, mais la réalité demeure plus modeste : 25 % seulement de l’électricité provient aujourd’hui de sources vertes. José Maria Gomes Lopes, chercheur en énergie, doute de la concrétisation de ces promesses. « L’ampleur des investissements reste insuffisante et les compétences techniques locales doivent encore être consolidées pour espérer atteindre ces seuils dans les quinze prochaines années », souligne-t-il.
Diversifier les sources : le pari de la mer et du sous-sol
La géothermie, cantonnée aux îles volcaniques, et l’hydroélectricité, aux ressources limitées, offrent des solutions ponctuelles. Une centrale hydroélectrique de pompage-turbinage verra ainsi le jour à Santiago (Cap-Vert) en 2028, visant à réduire de 22 % la consommation de fioul. Mais pour nombre de ces États, c’est la mer qui recèle la clé de leur avenir énergétique.
La conversion de l’énergie thermique des mers (OTEC) représente une piste audacieuse. À Sao Tomé-et-Principe, l’entreprise britannique Global OTEC envisage un projet pilote de 10 MW, exploitant le différentiel thermique entre l’eau chaude de surface et l’eau froide des profondeurs. « Il suffit de quelques kilomètres pour atteindre 2 000 mètres de profondeur et accéder à la thermocline », détaille Dan Grech, son PDG. Ce procédé, encore balbutiant, pourrait garantir la fourniture de l’électricité de base à un pays totalement dépendant des importations de carburant.
Si la technologie est prête, le financement, lui, demeure l’écueil majeur. « Dans ces économies, le crédit à long terme est rare et coûteux », alerte Marina Melo, de l’Association lusophone pour les énergies renouvelables. Les taux d’intérêt exorbitants et les primes d’assurance élevées freinent l’émergence de projets qui, ailleurs, seraient considérés comme rentables.
Face à ces contraintes, les îles africaines se tournent vers les financements multilatéraux. Le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) a récemment étendu ses guichets d’aide, offrant jusqu’à 20 millions de dollars pour les plus pauvres d’entre eux, et 3 millions pour les autres. Des montants modestes au regard des besoins, mais qui pourraient jouer un rôle catalyseur. « L’enjeu est d’attirer les investisseurs privés grâce à ces fonds publics limités mais essentiels », explique Jason Spensley, spécialiste du changement climatique au FEM, qui plaide pour des dispositifs de financement mixte et des garanties de premier risque.