La fiscalité est la clé

fiscalité

Par MARA Moussa[1] et BRIOT Julien[2]

Le sujet de la fiscalité fait rarement débat lors des compétitions électorales, les dirigeants ne sont pas élus aux élections présidentielles sur la pertinence de leur projet en matière de fiscalité. Cela est valable ailleurs mais aussi et surtout en Afrique. Hélas !

S’il existe une thématique essentielle pour les regroupements humains, c’est bien celle de la contribution de chacun à l’essor du groupe. En cela, la fiscalité est absolument cruciale pour tout pays ou toute collectivité quelconque.

La fiscalité est la clé en matière d’équité économique ou sociale. Elle permet de faire en sorte que ceux qui gagnent davantage de ressources contribuent plus que les autres à l’effort collectif. Elle permet également à l’autorité publique de redistribuer les revenus des plus nantis vers ceux qui sont faibles dans une société donnée. Cela stabilise la collectivité, crée de l’empathie entre ses membres et forge un sentiment d’appartenance qui est indispensable à son essor.

La fiscalité est le déterminant le plus important de la souveraineté régionale mais également nationale. L’indépendance d’une région ou d’un pays est constituée prioritairement par sa capacité à s’affranchir de l’aide des autres. Les attributs de souveraineté ne pensent que peu face à la dépendance économique et financière. Comme le dit un proverbe, « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit ». L’indépendance économique des pays émergents est liée à leur aptitude à générer des ressources internes leur permettant de faire face à leurs besoins fondamentaux, ce qui ne peut être possible sans une fiscalité appropriée.

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Cela est aussi bien valable pour un pays que pour un continent comme l’Afrique. La plupart de nos pays n’arrivent pas à collecter des ressources fiscales à hauteur de 15 % de leur richesse nationale contrairement à de nombreux endroits du Monde où ce taux dépasse facilement 30 %. Il en résulte une fragilité importante et un besoin de ressources extérieures pour financer nos priorités. Nous devons, par conséquent, faire de la question fiscale un objectif significatif de nos politiques publiques.

La fiscalité est enfin la clé de la justice internationale. De nombreuses multinationales s’affranchissent de leurs obligations fiscales via des montages fiscaux particulièrement complexes et la présence de certaines de leurs filiales dans des paradis fiscaux. Dans certains secteurs économiques de pointe, elles profitent de la faiblesse des administrations publiques voire de leur sensibilité à la corruption pour se soustraire à la loi fiscale et payer moins d’impôts, voire ne pas en payer du tout. Là également, l’Afrique souffre de nombreux handicaps. En effet, selon un rapport de la fondation Osiwa, le montant de la fraude fiscale des multinationales dans la zone CEDEAO, de l’ordre de 210 milliards de dollars, dépasse celui reçu via l’aide au développement. Autrement dit, si les gouvernements nationaux parvenaient à limiter la fuite des capitaux et la fraude fiscale qui lui est liée, il serait possible de remédier à tous les maux de l’Afrique. La morale et l’éthique doivent être les fidèles compagnons de tous les leaders du continent et ces valeurs doivent être imposées à l’ensemble des multinationales présentes sur le continent africain. D’ailleurs la norme Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), norme mondiale pour la bonne gestion des ressources pétrolières, gazières et minières, mise en place sous l’impulsion de la campagne « Publiez ce que vous payez » en 2003, a imposé un certain comportement aux multinationales. Dans le cas contraire, il serait difficile d’imposer un civisme fiscal aux populations africaines. Cette avancée serait sans commune mesure dans l’Histoire.

Ce qui précède ne relève malheureusement pas de l’utopie, bien au contraire ! La lutte contre la fraude fiscale nécessite une volonté politique et une gouvernance de qualité au sein des pays et dans le concert des nations. Une fois cet objectif atteint, il convient ensuite d’engager des activités d’identification et sanction de toutes les fraudes fiscales. L’initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), inspecteurs des impôts sans frontières, a montré la voie vers laquelle se diriger aux pays africains.

Pour finir, il est souhaitable qu’au niveau international, les institutions comme l’OCDE ou le FMI proposent des solutions à leurs membres en vue d’instaurer une harmonisation totale des systèmes fiscaux et mettre fin à la concurrence fiscale entre les pays. Cet espoir est conforté par le projet de taxe minimale de 15 % sur les revenus globaux des sociétés multinationales.

[1] Moussa MARA est un expert-comptable, ancien Premier ministre du Mali, député et président du parti Yéméla.

[2] Julien BRIOT est un économiste, expert en compliance et spécialiste des questions liées à la fraude fiscale. Il sortira le 24 octobre un ouvrage aux Editions Legitech intitulé « Dans les Méandres de la Fraude Fiscale ».