À l’issue de la réunion des coordonnateurs du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), la Chine a annoncé, avec effet immédiat, la suppression de tous les droits de douane sur les exportations en provenance des 53 pays africains entretenant des relations diplomatiques avec elle. Une décision aux implications stratégiques profondes, qui redessine les contours du commerce mondial et consacre la centralité du partenariat sino-africain dans la nouvelle architecture économique internationale.
À Changsha, les 11 et 12 juin 2025, la diplomatie économique chinoise a marqué un nouveau jalon. Pékin a en effet dévoilé une mesure sans précédent : l’élimination totale des droits de douane appliqués aux produits originaires des 53 pays africains avec lesquels elle entretient des relations diplomatiques – à l’exception notable de l’Eswatini, seul État du continent à maintenir des liens officiels avec Taïwan. L’annonce, faite en marge de la réunion ministérielle de suivi du FOCAC, a été saluée comme une étape déterminante dans l’approfondissement du partenariat Chine-Afrique.
Ce geste, d’apparence commerciale, s’inscrit en réalité dans une stratégie globale de Pékin, qui vise à structurer un ordre économique multipolaire en consolidant les alliances du Sud global. En supprimant les barrières douanières, la Chine ne cherche pas seulement à stimuler les échanges : elle entend également renforcer sa légitimité politique en Afrique, face à une concurrence géopolitique exacerbée par le retour des discours protectionnistes en Occident.
C’est le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, qui a ouvert les travaux à Changsha, porteur d’un message personnel du président Xi Jinping. Il y a réaffirmé la volonté de son pays d’ériger une « communauté d’avenir partagé Chine-Afrique de tout temps pour la nouvelle ère ». Ce vocabulaire, désormais récurrent dans les déclarations officielles de Pékin, vise à inscrire le partenariat sino-africain dans une logique de permanence stratégique, bien au-delà des contingences commerciales.
Dans la déclaration finale, les deux parties ont défendu « le véritable multilatéralisme », la centralité de l’Organisation des Nations unies, ainsi que la nécessité de promouvoir une mondialisation plus inclusive et équitable. Une référence à peine voilée aux tensions commerciales sino-américaines et aux logiques unilatérales qui ont fragilisé les chaînes de valeur mondiales.
Un contraste assumé avec les États-Unis
L’approche chinoise se démarque clairement de celle des États-Unis, où le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche a relancé les discours nationalistes en matière commerciale. L’African Growth and Opportunity Act (AGOA), principal cadre des préférences commerciales accordées par Washington à l’Afrique subsaharienne, fait aujourd’hui l’objet de remises en question. Plusieurs voix influentes au sein du Parti républicain appellent à sa révision, voire à l’instauration de hausses tarifaires généralisées, y compris à l’égard de certaines économies africaines émergentes.
Face à ces incertitudes, le geste chinois agit comme un signal fort. Là où Washington impose des conditionnalités, Pékin accorde des exonérations. Là où les États-Unis évoquent la suspension d’avantages commerciaux, la Chine élargit l’accès sans condition à son marché intérieur. Pour nombre de gouvernements africains, le message est limpide : la Chine propose une coopération sans ingérence politique, fondée sur une solidarité entre pays en développement.
La suppression des droits de douane s’intègre dans un dispositif plus large, annoncé lors du sommet FOCAC 2024. La Chine y avait promis un soutien financier global de 50 milliards de dollars pour la période 2025-2027, ventilé en trois volets : 29 milliards de prêts concessionnels, 11 milliards d’aides directes, et 10 milliards d’investissements publics et privés.
Dix secteurs prioritaires ont été identifiés : commerce, infrastructures, agriculture, santé, protection de l’environnement, sécurité, innovation industrielle, développement numérique, formation et résilience climatique. Cette approche sectorielle permet à Pékin de combiner soutien financier, transfert technologique et influence diplomatique, tout en répondant aux priorités des pays africains.
Une relation commerciale en pleine expansion
Les chiffres confirment la solidité de la dynamique sino-africaine. En 2024, le volume des échanges entre la Chine et le continent africain a atteint 2 100 milliards de yuans, soit environ 290 milliards de dollars – contre moins de 100 milliards de yuans au début des années 2000. Pour le seul premier trimestre 2025, les échanges ont progressé de 12,4 %, atteignant 963 milliards de yuans. Pékin reste ainsi, pour la seizième année consécutive, le premier partenaire commercial de l’Afrique.
Au-delà des flux financiers, ce partenariat a des retombées concrètes en matière d’emplois. Entre 2022 et 2024, les investissements chinois ont permis la création de 1,1 million d’emplois directs en Afrique, selon les autorités chinoises. Cette performance est d’autant plus notable qu’elle intervient dans un contexte de ralentissement global des investissements étrangers sur le continent.
En s’ouvrant unilatéralement aux exportations africaines, la Chine franchit un cap inédit dans l’histoire du commerce international. Cette politique volontariste de libre-échange ciblé constitue une tentative de remodelage des rapports économiques entre pays en développement. Elle vise à atténuer la dépendance de l’Afrique vis-à-vis des marchés occidentaux, tout en affirmant la Chine comme pivot incontournable du commerce Sud-Sud.
Pour Pékin, cette initiative est aussi une réponse aux critiques sur le déséquilibre structurel des échanges avec l’Afrique, longtemps accusée de n’exporter que des matières premières. En supprimant les barrières tarifaires sur l’ensemble des produits africains, la Chine ouvre la voie à une diversification progressive des exportations du continent – à condition, toutefois, que les économies africaines puissent monter en gamme, améliorer leur compétitivité et s’insérer dans les chaînes de valeur mondiales.