L’Afrique, entre fractures et ambitions, une lecture géopolitique d’un continent en mutation. C’est ce que révèle en substance dans sa huitième édition du Rapport sur la géopolitique de l’Afrique, le Policy Center for the New South (PCNS) qui dresse un état des lieux rigoureux d’un continent sous tension, tiraillé entre dynamiques électorales incertaines, conflits armés persistants, repositionnements diplomatiques et ambitions atlantiques. Loin d’une approche exogène, le rapport propose une lecture endogène, africaine et analytique des réalités stratégiques de l’année 2024.
L’analyse du PCNS s’ouvre sur les dynamiques électorales qui, loin de marquer des avancées démocratiques linéaires, révèlent les fragilités des États africains face à la tentation autoritaire et aux transitions confisquées. Le cycle électoral de 2024, bien que marqué par l’organisation de scrutins dans plusieurs pays du continent, a souvent été l’objet de contestations, voire de violences post-électorales. Le rapport met en évidence l’érosion de la confiance des citoyens envers les processus électoraux, un phénomène amplifié par les manipulations constitutionnelles, la marginalisation des oppositions et l’instrumentalisation des institutions de régulation. Ainsi, derrière l’apparente régularité électorale, se dessinent des pratiques de verrouillage du pouvoir qui interrogent sur la nature même de la gouvernance démocratique en Afrique.
Dans ce contexte, le Policy Center for the New South souligne la montée en puissance de nouveaux acteurs de la contestation, notamment les jeunesses urbaines connectées, qui se saisissent des réseaux sociaux comme caisse de résonance politique. L’émergence de ces contre-pouvoirs numériques, bien que fragmentaire, recompose progressivement les équilibres politiques, tout en exposant les régimes à une volatilité accrue.
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Le PCNS insiste sur la diversification des acteurs armés, entre milices communautaires, groupes terroristes transnationaux et armées régulières aux allégeances fluctuantes. Ce brouillage des catégories classiques de la guerre rend l’intervention des États d’autant plus complexe, d’autant que nombre d’entre eux voient leur légitimité érodée. Le rapport met notamment en lumière le paradoxe sécuritaire : à mesure que les dépenses militaires augmentent, les États paraissent de moins en moins en capacité de garantir la paix sur leur propre territoire.
Au-delà des considérations strictement militaires, les conflits africains actuels traduisent aussi des crises de souveraineté, d’identité et de légitimité, qui se nourrissent des fractures ethniques, des injustices socio-économiques et des défaillances de la gouvernance locale. Le Policy Center for the New South appelle ainsi à dépasser la lecture sécuritaire pour adopter une approche plus holistique, intégrant les dimensions historiques, sociales et environnementales des crises.
L’Afrique et le monde : entre multipolarité et dépendance
Le troisième volet du rapport élargit la focale pour interroger la place du continent africain dans le système international en recomposition. Alors que l’ordre mondial post-guerre froide vacille, l’Afrique devient un terrain de compétition géopolitique intense entre puissances traditionnelles et émergentes. La Chine, la Russie, la Turquie, les États du Golfe, mais aussi les États-Unis et les pays européens y déploient des stratégies d’influence qui se croisent, se concurrencent ou se neutralisent.
Dans ce tumulte diplomatique, le PCNS souligne la difficulté des États africains à construire une véritable autonomie stratégique. Si certains pays parviennent à jouer sur les rivalités extérieures pour maximiser leurs gains, la majorité reste enfermée dans des logiques de dépendance économique ou militaire. Le rapport pointe, par exemple, l’instrumentalisation des partenariats sécuritaires, parfois perçus comme de simples prolongements de stratégies néocoloniales.
Le Policy Center for the New South plaide alors pour un repositionnement africain fondé sur des alliances réfléchies, une diplomatie continentale proactive, et un renforcement de la coopération Sud-Sud. Ce changement de posture, s’il s’affirme encore timidement, pourrait permettre à l’Afrique de ne plus être seulement un terrain de jeu, mais un acteur à part entière dans la recomposition géopolitique mondiale.
Vers un espace africain atlantique intégré ?
Enfin, la dernière section du rapport explore la dimension atlantique du continent, trop souvent marginalisée dans les études géopolitiques. Le PCNS y voit pourtant un levier de transformation stratégique majeur. Avec 23 pays africains disposant d’un accès à l’Atlantique, le potentiel d’intégration est immense, tant sur les plans économique, logistique que diplomatique.
L’espace atlantique africain se présente comme une interface géostratégique entre l’Afrique, les Amériques et l’Europe. Cette façade pourrait permettre l’émergence de chaînes de valeur industrielles, de corridors énergétiques et d’initiatives sécuritaires régionales adaptées. Mais pour cela, encore faut-il dépasser les logiques de cloisonnement national et de compétition intra-africaine.
Le Policy Center for the New South invite à repenser cet espace comme un bien commun à investir collectivement, dans un esprit de coresponsabilité. Il plaide pour la création de cadres de coopération innovants, à l’image d’une « Communauté Atlantique Africaine » qui ferait écho aux aspirations d’un continent désireux de se projeter dans l’avenir sans renier ses intérêts stratégiques.
Au fil des pages, le rapport du Policy Center for the New South s’impose comme un exercice d’intelligence collective. Il donne la parole à des chercheurs du continent, refuse les caricatures et restitue les nuances d’une Afrique plurielle, traversée par des forces antagonistes mais jamais résignée. Loin des récits misérabilistes ou purement sécuritaires, ce rapport affirme l’ambition d’une géopolitique construite depuis le Sud, dans une perspective souveraine, lucide et ambitieuse.