Avec près de 70 000 professionnels hautement qualifiés que le continent perd chaque année, selon l’Union Africaine (UA), la question de la fuite des cerveaux demeure incontournable. C’est dans ce contexte qu’une conférence d’envergure s’est tenue ce mardi 27 mai 2025 à Rabat, à l’initiative de l’ONG Action pour l’éducation citoyenne (APEC Internationale), autour du thème « La fuite des cerveaux en Afrique ». L’événement a réuni des responsables africains, des diplomates, des universitaires ainsi que des jeunes étudiants venus de plusieurs pays du continent.
Il est vrai que la fuite des cerveaux n’épargne aucun pays. Même les plus développés voient partir certains de leurs talents vers d’autres horizons, souvent pour se spécialiser ou explorer de nouveaux champs. Mais en Afrique, l’hémorragie est bien plus alarmante.
Au cœur des échanges : une urgence, celle d’élaborer des stratégies concrètes, inclusives, et surtout africaines pour freiner ce phénomène qui vide l’Afrique de ses talents. Le doyen du corps diplomatique africain au Maroc, l’ambassadeur du Cameroun M. Mouhamadou Youssifou, a clairement expliqué que l’avenir de l’Afrique repose sur son capital humain, surtout les jeunes. La fuite des cerveaux, pour lui, est un sujet complexe qui appelle des solutions concertées.
De nombreux Africains se distinguent à l’échelle internationale, reçoivent des prix, sont reconnus et honorés. Pourtant, ce n’est souvent qu’à ces moments-là que leur pays d’origine se rappelle qu’ils sont “des leurs”. Triste constat, surtout lorsqu’on voit que ces talents, malgré l’exil, n’oublient jamais leurs racines. Leur rêve, souvent, est d’honorer leur pays à travers leur nom, leur œuvre, leur invention.
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Selon les médias, les raisons de ces fuites de cerveaux sont multiples. À la tête de la liste, le manque d’opportunités d’emploi, l’instabilité politique dans certains pays africains ainsi que de meilleures structures à l’étranger. Les laboratoires, les centres de recherche ou les universités étrangères offrent des conditions de travail bien plus favorables. Viennent ensuite les salaires et les avantages plus compétitifs. Ils représentent un facteur décisif, notamment pour les médecins, les ingénieurs et les chercheurs.
À ces causes s’ajoute parfois un sentiment d’invisibilité. De nombreuses inventions ou travaux africains sont brièvement salués, partagés quelques instants sur les réseaux sociaux, puis sombrent dans l’oubli, sans aucune valorisation ni investissement.
Que propose l’Union africaine ?
Selon le Cadre de politique migratoire pour l’Afrique révisé (Union africaine, 2018–2027), ce sont environ 70 000 professionnels hautement qualifiés que le continent perd chaque année. Un chiffre vertigineux, qui place l’Afrique parmi les régions les plus touchées au monde.
Pour y remédier, des mesures concrètes sont préconisées pour endiguer la fuite des cerveaux, notamment en mettant l’accent sur la rétention des compétences, en particulier dans les secteurs stratégiques comme la santé. L’UA appelle à promouvoir la stratégie du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) en faveur du maintien des capacités humaines, et à concevoir des programmes économiques inclusifs, prenant en compte la dimension genre, pour offrir aux professionnels qualifiés des opportunités réelles d’emploi, de formation continue et d’épanouissement professionnel dans leur pays d’origine.
Il s’agit aussi de valoriser la diaspora africaine en créant des passerelles solides entre les pays d’accueil et les pays d’origine. Encourager le retour, qu’il soit temporaire ou permanent, de ces talents, faciliter le transfert de compétences, de connaissances et de technologies. L’UA insiste également sur la nécessité de développer des politiques de remplacement des compétences perdues, tout en mettant en place des dispositifs incitatifs pour attirer à nouveau les talents partis. L’idée n’est donc pas de bloquer les départs, mais plutôt de créer une circulation vertueuse du savoir, où chaque aller pourrait être suivi d’un retour riche en impact.
Migration circulaire, la solution de l’UNESCO ?
Selon l’UNESCO, vouloir rapatrier les cerveaux sans s’attaquer aux causes profondes de leur départ est une stratégie vouée à l’échec. Il faut inverser la logique : au lieu de s’apitoyer sur leur départ, il faut les intégrer, même à distance, dans les écosystèmes académiques et économiques du continent.
Des initiatives existent déjà, comme le Forum International des Compétences Marocaines à l’Étranger (FINCOME) ou encore la migration circulaire promue par le Centre national pour la recherche scientifique et technique (CNRST), qui signe des accords avec des associations de la diaspora comme l’AIMAF en France ou le DMK en Allemagne.
Dans le domaine de la santé, les exemples se multiplient. Des pharmaciens camerounais en Belgique collaborent avec l’Université de Douala. Depuis 2010, l’Association des médecins camerounais en Belgique (MedCamBel) organise des campagnes de sensibilisation et de prévention au Cameroun.
C’est peut-être là que réside la clé. Il ne s’agit pas de voir les départs comme des pertes définitives, mais plutôt comme des allers-retours enrichissants. Les cerveaux peuvent circuler, transmettre, former, bâtir des ponts entre les deux rives.
Comme le souligne le Fonds Monétaire International (FMI), les diasporas africaines ont un rôle stratégique à jouer : en associant leurs compétences, leurs réseaux et leur connaissance des coutumes locales, elles peuvent renforcer l’environnement économique de leur pays d’origine et ouvrir de nouveaux marchés.