L’ambassade du Ghana aux États-Unis, ébranlée par une fraude aux visas s’étalant sur cinq ans et impliquant des millions de dollars, a été fermée temporairement en mai 2025. Cette décision radicale, annoncée par le gouvernement ghanéen, fait suite à la découverte d’un système illicite orchestré par un employé local, mettant en lumière des dysfonctionnements institutionnels profonds.
Selon les enquêtes préliminaires, Fred Kwarteng, un agent recruté localement en charge des systèmes informatiques de l’ambassade depuis 2017, aurait détourné le site officiel de l’institution diplomatique. En créant un lien non autorisé, il redirigeait les demandeurs de visas et de passeports vers sa société privée, Ghana Travel Consultants (GTC). Les usagers, majoritairement des citoyens américains et des membres de la diaspora ghanéenne, devaient alors s’acquitter de frais supplémentaires – entre 29,75 et 60 dollars – en violation de la loi ghanéenne sur les taxes publiques.
Les fonds, estimés à plusieurs millions de dollars, auraient été siphonnés vers des comptes personnels. « Ce mécanisme sophistiqué a fonctionné pendant des années grâce à une absence totale de contrôles internes », déplore un haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères sous couvert d’anonymat. Malgré des signalements dès 2020, l’ambassade n’aurait pris aucune mesure, alimentant les soupçons de complicité passive ou de négligence systémique.
Face à l’ampleur du scandale, le gouvernement du président John Mahama a réagi avec fermeté. Outre la fermeture immédiate de l’ambassade pour « restructuration totale », toutes les recrues locales ont été suspendues et le personnel diplomatique rappelé à Accra. Le département informatique, jugé responsable de la négligence technique, a été dissous.
Le ministre des Affaires étrangères, Samuel Okudzeto Ablakwa, a annoncé le lancement d’un audit forensique pour évaluer les pertes financières et identifier les vulnérabilités administratives. « Cette affaire est une trahison envers notre nation. Nous appliquerons une tolérance zéro pour restaurer la confiance », a-t-il déclaré, soulignant la saisine du procureur général pour des poursuites judiciaires.
Une crise aux multiples ramifications
L’onde de choc dépasse les frontières ghanéennes. Les États-Unis, où l’ambassade est située, pourraient engager des poursuites pour racket organisé (RICO Act), une loi fédérale ciblant les activités criminelles transnationales. « Ce scandale pourrait affecter les relations bilatérales, surtout si des preuves de blanchiment émergent », analyse Kofi Ansah, expert en droit international.
Sur les réseaux sociaux, le hashtag #GhanaFightsCorruption a enflammé les débats. Si certains saluent la transparence des autorités, d’autres dénoncent la fermeture brutale de l’ambassade, privant des milliers de ressortissants de services consulaires. « C’est un mal nécessaire pour assainir le système », tempère Ama Serwah, une étudiante ghanéenne à New York.
L’opposition parlementaire a vivement critiqué la gestion de la crise, qualifiant la fermeture de l’ambassade de « spectacle inutile ». Pour Mawuse Oliver Barker-Vormawor, figure du mouvement #FixTheCountry, « cette fraude illustre une culture de l’impunité qui persiste depuis des décennies ». Il appelle à une coopération internationale pour tracer les flux financiers illicites.
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Le ministère des Affaires étrangères promet des réformes structurelles : dématérialisation des procédures, audits inopinés et formations éthiques obligatoires. Des services consulaires mobiles seront déployés en attendant la réouverture de l’ambassade, prévue « dans quelques mois ».
Ce scandale, l’un des plus retentissants de l’histoire diplomatique ghanéenne, révèle des lacunes criantes en matière de gouvernance numérique et de supervision administrative. Si la fermeture de l’ambassade marque un coup d’éclat anti-corruption, sa crédibilité dépendra de la capacité d’Accra à traduire les responsables en justice et à instaurer des garde-fous durables.