Sous tension avec plusieurs de ses voisins du Sud, l’Algérie a organisé, dimanche 25 mai, un forum consacré à la sécurité au Sahel, dans une tentative manifeste de réaffirmer son statut de puissance régionale. Si les autorités algériennes ont présenté l’initiative comme un appel au dialogue et à la coopération, l’absence notable de participation officielle des gouvernements sahéliens souligne la profondeur du fossé diplomatique qui s’est creusé ces derniers mois.
À la tribune, le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha, a plaidé pour « une lutte coordonnée contre le terrorisme » et la nécessité de respecter « la souveraineté des États » de la région. Le ton se veut conciliant, mais les faits illustrent une réalité plus contrastée. Les relations entre Alger et plusieurs capitales du Sahel — notamment Bamako et Niamey — sont au plus bas depuis que le Mali a abattu un drone algérien au-dessus de son territoire en 2023, et que ces pays se sont désengagés des initiatives sécuritaires appuyées par l’Algérie.
L’initiative d’Alger intervient alors que le centre de gravité sécuritaire du Sahel s’est déplacé. La création de l’Alliance des États du Sahel (AES) — qui réunit le Mali, le Niger et le Burkina Faso — a marqué une volonté de ces régimes militaires de se défaire des structures héritées de la coopération régionale classique, notamment la CEDEAO, et de nouer de nouvelles alliances stratégiques. La Russie, la Turquie et d’autres puissances non occidentales apparaissent aujourd’hui comme les interlocuteurs privilégiés de ces États en rupture.
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Dans ce contexte, le forum d’Alger, où aucun haut représentant de ces pays n’a pris part, a été perçu par de nombreux observateurs comme un exercice de communication. « L’Algérie cherche avant tout à projeter une image de stabilité et de continuité, alors même qu’elle est en train de perdre le contrôle de son arrière-cour géopolitique », analyse un diplomate sahélien basé à Dakar.
L’accord d’Alger, toujours brandi comme référence
Malgré ces revers, Alger continue de faire du Processus d’Alger et de l’accord de paix signé en 2015 entre le gouvernement malien et les groupes armés du Nord sa référence diplomatique centrale. Le général Chengriha a d’ailleurs réitéré l’importance de « relancer la mise en œuvre de l’accord », suspendue de facto depuis l’effondrement de la coopération entre Bamako et ses partenaires traditionnels.
Pour Alger, le retour à cet accord est vu comme un levier pour reprendre pied dans la région, mais cette position apparaît de plus en plus déconnectée de la réalité actuelle. Au sein même du Mali, le texte est largement perçu comme obsolète par les nouvelles autorités militaires, qui lui préfèrent une approche unilatérale centrée sur la reconquête territoriale et la restauration de l’autorité de l’État.
L’organisation de ce forum illustre également les limites de la doctrine sécuritaire algérienne, fondée depuis les années 1990 sur une autonomie stratégique revendiquée et sur la non-intervention. Si l’Algérie continue de s’opposer à toute présence militaire étrangère sur son flanc sud, elle peine désormais à proposer des alternatives crédibles aux coalitions transnationales émergentes. Le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO, et la paralysie de la force conjointe du G5 Sahel, témoignent d’un paysage régional en recomposition rapide, dont Alger semble partiellement exclue.
Les autorités algériennes mettent en garde contre les conséquences d’un tel éclatement régional : aggravation des flux migratoires irréguliers, recrudescence des violences armées, trafic transfrontalier. Mais sans relais diplomatique solides ni participation active des États concernés, leur message peine à trouver un écho.
À défaut de résultats concrets, le forum sahélien d’Alger reflète surtout une tentative de repositionnement symbolique dans une région où l’Algérie voit son rôle historiquement central remis en question. L’absence des principaux acteurs du Sahel et l’essor de nouvelles alliances militaires hors du giron algérien posent une équation stratégique délicate à Alger : comment maintenir son influence sans intervenir, dialoguer sans partenaire, préserver sa sécurité sans leviers concrets sur ses voisins instables ?