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Festival Gnaoua : Essaouira au carrefour des musiques du monde et des stratégies culturelles

Du 19 au 21 juin, les ruelles d’Essaouira vibreront une nouvelle fois au rythme de la transe, du jazz, de l’afrobeats et de la mémoire. Le Festival Gnaoua et Musiques du Monde revient pour sa 26ᵉ édition, dans une version qui dépasse les simples performances artistiques pour incarner une stratégie de rayonnement culturel à l’échelle internationale. Ce rendez-vous, devenu un marqueur identitaire du Maroc contemporain, affirme avec éclat sa double ambition : préserver un patrimoine spirituel ancestral tout en dialoguant sans complexe avec les esthétiques globalisées.

La programmation dévoilée cette semaine s’ouvre sur un geste fort, presque manifeste : Maâlem Hamid El Kasri, figure tutélaire de la tradition gnaouie et dernier grand nom à avoir clôturé le festival en 2024, inaugure cette nouvelle édition. Il sera accompagné de la compagnie sénégalaise Bakalama, dépositaire du répertoire sabar, et des voix émergentes d’Abir El Abed (Maroc) et Kya Loum (Sénégal). Une ouverture placée sous le signe de la rencontre afro-atlantique, ancrée dans les racines spirituelles tout en assumant une esthétique de la fusion.

Dans un autre registre, mais toujours dans l’esprit de métissage revendiqué par le festival, la scène verra naître une alliance inédite entre le jeune Maâlem Houssam Gania — héritier direct du légendaire Mahmoud Gania — et Marcus Gilmore, batteur américain à la technique éblouissante, connu pour ses collaborations avec Chick Corea et Vijay Iyer. Ici, la tradition gnaouie ne s’efface pas, elle dialogue avec les rythmes syncopés du jazz contemporain dans une tentative de réinvention maîtrisée.

Autre moment phare : une performance transnationale réunissant Maâlem Mohamed Boumezzough, des musiciens maliens, marocains et français autour d’un ensemble hétéroclite — balafon, saxophone, chant, guembri. Une expérience scénique pensée comme un espace de co-création entre continents, mémoires et sonorités. Le festival, en somme, se veut laboratoire d’hybridations, refusant les lignes fixes pour mieux dessiner de nouveaux territoires artistiques.

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Mais cette 26ᵉ édition franchit un seuil symbolique avec l’arrivée de CKay, star nigériane de l’afrobeats et phénomène mondial depuis le succès planétaire de Love Nwantiti. Sa venue à Essaouira ne relève pas du simple effet d’affiche : elle témoigne d’un tournant assumé du festival vers les scènes les plus globalisées du moment, sans pour autant renier son ADN. En intégrant CKay à sa programmation, le Festival Gnaoua tend un fil entre les griots du XXIᵉ siècle et les maîtres du guembri, entre l’économie du streaming et la mystique des rituels ancestraux.

Ce positionnement stratégique ne se limite pas à la scène. Depuis plusieurs années, le festival tisse un maillage académique ambitieux avec des institutions comme Berklee College of Music ou l’Université Mohammed VI Polytechnique. À partir de cette édition, une chaire universitaire dédiée à la mondialisation et aux études interculturelles, adossée à l’expérience gnaoua, verra le jour. C’est un signe clair : Essaouira ne se contente plus d’être un haut lieu de performances musicales, elle entend devenir un centre de recherche et de transmission sur les formes culturelles afro-diasporiques.

Dans un contexte où la diplomatie culturelle devient un outil de projection stratégique, le Festival Gnaoua affirme son rôle comme l’un des piliers du soft power marocain. Il articule excellence artistique, attractivité internationale et ancrage patrimonial dans un même mouvement. Essaouira, ville carrefour, devient alors un espace d’expérimentation géopolitique où se joue, en musique, une autre forme de mondialisation : plus sensible, plus spirituelle, mais aussi plus structurée qu’il n’y paraît.

À l’heure où les festivals peinent à se réinventer ou sombrent dans la redondance, le Gnaoua et Musiques du Monde trace une voie singulière. Une voie où le jazz parle au guembri, où le sabar dialogue avec l’afrobeats, et où la scène devient une agora du monde contemporain. Cette 26ᵉ édition ne fait pas que prolonger une tradition : elle l’actualise avec force, conviction, et une claire conscience de son rôle dans l’échiquier culturel global.

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