Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue
Hamadi Baba Hamadi, président de la Fédération Nationale de la Pêche (FNP) de Mauritanie, revient sur les dynamiques de coopération entre son pays et le Maroc dans le domaine halieutique. Il met en lumière le protocole d’accord scellé en marge du Salon Halieutis d’Agadir, qui établit un cadre de concertation et de coordination entre la FNP et la COMAIP, organisation marocaine sœur. Cette collaboration s’est concrétisée à Dakhla par la signature d’une déclaration commune, accompagnée de la création d’un comité conjoint chargé de piloter les échanges techniques et stratégiques.
Hamadi insiste sur le rôle de la FNP en tant qu’organe de plaidoyer, sans compétence exécutive dans la gestion administrative des pêches, mais fortement impliqué dans les organes de gouvernance tels que le Conseil Consultatif National des Pêches ou les structures de l’IMROP. Il souligne l’importance de la préservation des ressources, de la lutte contre la pêche illégale et de l’adoption de pratiques responsables, conformément aux engagements internationaux de la Mauritanie.
Afrique Diplomatique: Quelles sont les avancées les plus significatives de la déclaration conjointe signée à Dakhla pour le secteur halieutique mauritanien ? Comment cette coopération s’inscrit-elle dans la stratégie nationale de la Mauritanie pour la pêche durable et la sécurité alimentaire ?
Hamadi Baba Hamadi: Depuis notre première rencontre, en marge du Salon Halieutis à Agadir, en février dernier, nous avons signé un protocole d’accord qui encadre désormais les relations étroites que nous nous engageons à entretenir entre nos deux organisations professionnelles. Cette coopération repose essentiellement sur la concertation, la coordination et des échanges réguliers d’informations.
Le premier résultat concret s’est matérialisé par la rencontre qui s’est tenue à Dakhla, où nous avons signé une déclaration commune. Celle-ci décline les objectifs stratégiques de nos deux organisations sœurs et a permis la mise en place d’un comité conjoint FNP-COMAIP, véritable outil organisationnel de cette coopération, avec la Déclaration de Dakhla pour cadre juridique.
Étant donné que nos deux pays exploitent des stocks mitoyens et partagés – en particulier les petits pélagiques qui représentent 80 à 90 % de nos ressources –, nous sommes appelés à organiser des concertations régulières sur l’évaluation de ces ressources et la mise en œuvre de mesures d’aménagement. Ainsi, cette coopération s’inscrit pleinement dans la stratégie nationale de la Mauritanie, axée sur la pêche durable et la sécurité alimentaire, en renforçant les échanges entre nos organisations professionnelles et les instituts de recherche.
La Mauritanie dispose de l’un des écosystèmes marins les plus riches d’Afrique. Comment la FNP compte-t-elle tirer parti de cet accord pour préserver durablement ces ressources halieutiques partagées ?
Il est vrai que la Mauritanie bénéficie d’une des côtes les plus poissonneuses du monde. Toutefois, la FNP, en tant qu’organisation professionnelle à caractère syndical, joue un rôle de proposition et de plaidoyer, sans compétence exécutive directe dans la gestion administrative des pêches. La mise en œuvre des politiques et des mesures d’aménagement relève exclusivement des attributions du Ministère chargé des Pêches.
Nous veillons à ne pas empiéter sur ces prérogatives. Cependant, pleinement conscients de la nécessité de préserver durablement ces ressources, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour conseiller le ministère compétent. Nos efforts visent à promouvoir et à mettre en place des mesures techniques adaptées pour une gestion rationnelle des stocks et la protection de l’équilibre des écosystèmes. Les échanges réguliers et la coopération renforcée avec la COMAIP s’inscrivent dans cette logique de préservation à long terme.
Quelles mesures concrètes envisagez-vous pour renforcer la gouvernance des pêcheries partagées, en lien avec les principes de la CNUDM et du Code de conduite de la FAO ?
En matière de gouvernance des pêcheries, nous participons activement au Conseil Consultatif National des Pêches, où nous sommes directement impliqués dans la formulation et le suivi des politiques, plans d’actions et mesures techniques destinés à la gestion et à l’aménagement des ressources.
Notre présence au sein du Conseil scientifique et de l’organe délibérant de l’IMROP nous permet également de prendre part aux Groupes de Travail. Notre engagement dans ces structures, qui jouent un rôle central dans la conception de la politique des pêches, se décline en plusieurs axes :
- Garantir la durabilité des ressources en luttant contre toute forme de surexploitation, notamment pour le stock de poulpe, particulièrement vulnérable ;
- Encourager les pratiques de pêche responsable, en parfaite harmonie avec le Code de conduite de la FAO ;
- Dénoncer systématiquement les pratiques de pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) ;
- Sauvegarder la salubrité du milieu marin et préserver les écosystèmes ;
- Promouvoir une gouvernance régionale renforcée pour une meilleure gestion des ressources partagées.
La pêche est un pilier économique et social pour les communautés côtières mauritaniennes. Comment ce partenariat avec la COMAIP pourrait-il bénéficier directement aux pêcheurs artisanaux et aux communautés locales ?
La pêche maritime représente un pilier fondamental pour l’économie mauritanienne dans son ensemble, bien au-delà des seules communautés côtières. Elle contribue entre 25 et 30 % des entrées de devises, de 12 à 17 % des recettes budgétaires, de 6 à 10 % du PIB et fournit près de 20 % des emplois rémunérés.
En Mauritanie, la notion de communauté côtière n’a toutefois pas la même signification qu’au Maroc ou au Sénégal. Notre pays, semi-désertique, puise son identité dans des traditions pastorales et agricoles, tandis que la façade maritime est très peu habitée, à l’exception des Imraguen dans le Banc d’Arguin et des pêcheurs de N’Diago.
Néanmoins, la gestion concertée des pêcheries, notamment des petits pélagiques, ainsi que les échanges d’informations et d’expériences avec la COMAIP, ne peuvent que renforcer, à moyen et long terme, les intérêts des artisans pêcheurs et du peuple mauritanien. Les défis majeurs pour valoriser nos produits de la mer résident dans l’amélioration de la qualité, la traçabilité et l’éco-labellisation, qui nécessitent un accompagnement technique et réglementaire soutenu.
La déclaration de partenariat entre le Maroc et la Mauritanie prévoit la création d’un comité conjoint pour le suivi scientifique des stocks partagés. Comment la FNP entend-elle collaborer avec les centres de recherche mauritaniens pour alimenter cette démarche collective ?
La FNP joue un rôle de premier plan dans l’animation scientifique des pêcheries, notamment à travers sa contribution de 0,25 % de la valeur des exportations destinée à financer la recherche halieutique de l’IMROP. Nous mettons également à disposition des navires pour les campagnes de recherche et embarquons régulièrement des observateurs scientifiques et des stagiaires à bord.
De plus, nous profitons des périodes de repos biologique pour organiser, avec nos moyens propres, des campagnes de récupération des pots de poulpes perdus en mer, afin de préserver la salubrité de l’environnement marin et de soutenir les efforts de l’IMROP.
Nos attentes vis-à-vis des centres de recherche sont claires : nous souhaitons qu’ils soient plus à l’écoute de la profession, qu’ils nous accompagnent par leurs avis scientifiques et qu’ils nous assistent techniquement. La recherche doit devenir un levier essentiel pour explorer de nouvelles pêcheries, moderniser les engins de capture et améliorer la sélectivité, tout en stimulant les activités de transformation et de valorisation à terre. Toute forme d’assistance technique qui découlerait de la mise en place du comité conjoint constituerait un soutien précieux pour la durabilité des ressources.
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La lutte contre la pêche INN (illicite, non déclarée et non réglementée) est une préoccupation centrale. Quelles initiatives concrètes la Mauritanie pourrait-elle développer, en partenariat avec le Maroc, pour mieux contrôler les captures et les débarquements ?
La Mauritanie dispose d’un système de contrôle des pêches et de surveillance en mer parmi les plus performants de la région, couvrant les mouvements des navires, les captures, les débarquements et les exportations. La FNP coopère activement avec ce dispositif, consciente que la protection des ressources est un enjeu prioritaire pour l’ensemble de ses adhérents.
Nos membres n’hésitent pas à dénoncer toute incursion en zone interdite, souvent avec preuves GPS et parfois des photos, et à signaler immédiatement toute présence suspecte de navire non autorisé. Nous collaborons étroitement avec la Garde côtière, en charge de la lutte contre la pêche INN. À travers notre partenariat avec le Maroc, nous pourrions renforcer ces mécanismes en partageant des données, des technologies de surveillance et des bonnes pratiques pour mieux contrôler les débarquements et les captures.
Au-delà du partenariat bilatéral avec le Maroc, comment la Mauritanie voit-elle la coopération régionale en matière de pêche, notamment avec les pays voisins partageant les mêmes stocks ?
La Mauritanie est membre de la Commission Sous-Régionale des Pêches (CSRP), qui constitue un cadre privilégié pour la concertation, la coopération et l’harmonisation des mesures d’aménagement des stocks partagés. Bien que le Maroc ne soit pas membre de la CSRP, notre coopération bilatérale vient compléter utilement son action au sein de cette organisation régionale.
Pour conclure, j’aimerais lancer un appel à une meilleure coordination entre nos deux pays sur les marchés internationaux. Ensemble, nous représentons la moitié de la production totale de poisson du continent africain et sommes des fournisseurs majeurs du Japon et de l’Europe. Nous avons donc la capacité de constituer le noyau d’un véritable « cartel du poisson » pour défendre nos intérêts communs face à des acheteurs souvent solidaires entre eux.
Certes, des obstacles subsistent, notamment en matière de régimes d’exportation, mais cette coordination reste un objectif légitime pour nos deux organisations et pour l’ensemble de la région, afin de garantir la pérennité et la prospérité de nos secteurs halieutiques.