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Daniel Mukoko Samba : « La souveraineté économique africaine passera par l’intégration régionale »

En marge de la session d’ouverture de la Global Growth Conference 2025, organisée à Rabat autour du thème « Financer la croissance, façonner la transition énergétique », le vice-premier ministre et ministre de l’Économie nationale de la République démocratique du Congo, Daniel Mukoko Samba, a livré un diagnostic lucide des contraintes structurelles, mais aussi des leviers de transformation qui s’offrent à son pays et, au-delà, à tout le continent africain.

Sous la verrière du centre de conférences, dans une ambiance où se mêlent l’urgence climatique, les tensions géoéconomiques et les appels à l’innovation politique, Mukoko Samba a pris la parole pour inscrire l’expérience congolaise dans un récit continental. « Notre ambition collective, a-t-il affirmé, est de faire émerger une souveraineté économique africaine capable de résister aux fractures actuelles de l’ordre mondial. Mais cette souveraineté, pour être réelle, doit être enracinée dans nos contextes historiques et géographiques propres. »

Dès les premiers mots, le ministre congolais a souhaité rappeler que la croissance ne saurait être universelle, ni calquée indéfiniment sur les recettes extérieures. « La plus grande erreur du consensus de Washington, c’est d’avoir négligé la spécificité nationale. L’Afrique n’est pas un bloc monolithique. Elle est traversée par des trajectoires multiples, nées de la colonisation, de la guerre froide, et des mutations inachevées de l’État postcolonial. » À rebours des grilles de lecture standardisées, Daniel Mukoko Samba insiste sur la nécessité d’un ancrage : « Il faut cesser de parler de l’Afrique en abstraction. Parler de la RDC, ce n’est pas parler de Nairobi, ni d’Abidjan. »

Si la RDC affiche depuis deux décennies des taux de croissance parmi les plus élevés du continent — « plus de 5 % en moyenne depuis 2002, avec un pic à 8,3 % en 2023 », a rappelé Mukoko Samba —, le contraste avec le vécu quotidien des Congolais reste saisissant. L’explosion de la pauvreté, l’ampleur du secteur informel (près de 88 % de l’emploi), la faible mobilisation des ressources fiscales, et le déficit criant d’infrastructures limitent la portée de cette dynamique.

« Nos minerais ne valent rien s’ils ne sont pas connectés aux marchés », a-t-il lancé, évoquant les mines du Lualaba, distantes de plus de 1 500 kilomètres du moindre port en eau profonde. C’est précisément pour briser cet isolement que le gouvernement mise sur un réseau dense d’infrastructures, dont le projet phare est la construction d’un port en eaux profondes et la réhabilitation de corridors logistiques vers l’Angola et la Zambie. « Le Grand Corridor Vert Kivu-Kinshasa, long de 2 400 km, doit symboliser ce tournant vers une croissance intégrée, axée sur la transition énergétique. »

L’intégration régionale comme impératif stratégique

Dans l’analyse du ministre, la souveraineté économique de la RDC ne peut être pensée sans intégration. « Notre géographie est une contrainte qui nous oblige à coopérer. Nous ne pourrons jamais être compétitifs si nous ne relions pas nos projets industriels à ceux de nos voisins. » D’où l’accent mis sur les corridors industriels conjoints et la coopération logistique régionale, notamment avec la Zambie et l’Angola.

Mukoko Samba plaide ainsi pour une forme d’intégration fonctionnelle : « Nous ne voulons pas seulement des couloirs de transport, mais des zones économiques partagées, fondées sur la transformation locale des ressources. » À ce titre, le projet du Corridor de l’Hôpital, dont les discussions avancent dans les provinces minières, devrait poser les jalons d’un complexe industriel régional.

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Si le ministre congolais insiste sur la nécessité de penser local, il ne s’interdit pas pour autant de s’inspirer de modèles réussis ailleurs sur le continent. « Le Maroc est devenu une référence. Sa vision, portée au plus haut niveau par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, allie stabilité, anticipation et audace industrielle. » Daniel Mukoko Samba confirme des échanges renforcés entre son ministère et les institutions marocaines en charge de la réforme des entreprises publiques. Une grande commission mixte RDC-Maroc devrait, selon lui, se tenir prochainement pour formaliser un cadre de coopération structurant.

La libéralisation du cadre légal en RDC — avec un code minier, forestier, électrique et des assurances aligné sur les standards internationaux — n’a pas suffi à convaincre les investisseurs. « Ce n’est pas l’arsenal juridique qui manque, a-t-il reconnu. C’est la stabilité politique, la lisibilité des politiques publiques et l’efficacité institutionnelle qui font aujourd’hui défaut. »

Un continent pris en tenaille

Dans sa conclusion, Daniel Mukoko Samba est revenu sur le contexte global tendu dans lequel évolue le continent africain. « Nous assistons à une nouvelle course mondiale vers les métaux rares. La RDC se retrouve à nouveau au cœur de rivalités entre grandes puissances. » Or, prévient-il, cette géopolitique de l’extractivisme ne doit pas détourner les États africains de leur devoir premier : construire des économies souveraines, durables et centrées sur leurs populations.

Dans un appel vibrant, le ministre congolais a invité à rompre avec la spirale des conflits qui ensanglante la région des Grands Lacs. « Nos lacs sont d’une beauté spectaculaire, mais ils ont bu trop de sang. Le moment est venu d’en faire les témoins d’une paix retrouvée et d’un développement partagé. »

À travers ce plaidoyer, Daniel Mukoko Samba n’a pas seulement dressé un état des lieux de la RDC. Il a formulé un projet de réappropriation du destin africain — lucide sur les failles, ambitieux sur les solutions. Et c’est peut-être là que réside l’esprit véritable de la GGC 2025 : faire de chaque nation un acteur d’un avenir continental repensé à l’aune de ses singularités.

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