À six mois d’une présidentielle jugée cruciale pour la stabilité politique en Côte d’Ivoire, le pouvoir en place semble prêt à franchir un cap aux lourdes conséquences. En écartant Tidjane Thiam de la course à la magistrature suprême, les autorités ivoiriennes s’exposent à une onde de choc qui dépasse les frontières nationales. Dans les chancelleries occidentales, les organisations internationales et au sein de la diaspora, le sentiment d’injustice alimente une indignation croissante. En ligne de mire : une instrumentalisation de la justice à des fins politiques et un verrouillage du jeu démocratique.
Dans un article percutant publié par la BBC, l’analyste Paul Melly s’interroge frontalement : « La Côte d’Ivoire a-t-elle marqué contre son propre camp ? » Le titre original, dans sa version allemande, évoque un « carton rouge » infligé à la démocratie ivoirienne. Ce constat sévère reflète une inquiétude partagée : celle d’un recul institutionnel dans un pays présenté jusqu’ici comme un modèle de relance économique post-conflit.
Le 22 avril, la Commission électorale, confirmée par une décision judiciaire, a entériné l’exclusion de Tidjane Thiam de la liste électorale pour cause de double nationalité. Pourtant, l’ancien ministre ivoirien et ex-patron du Crédit Suisse avait officiellement renoncé à sa nationalité française dès février. Une décision qu’il qualifie de « sabotage juridique » orchestré pour éliminer une candidature jugée menaçante par le régime. Le PDCI-RDA, principal parti d’opposition, dénonce une manœuvre de « disqualification programmée » visant à maintenir le RHDP au pouvoir par tous les moyens.
Depuis cette annonce, les manifestations se multiplient à travers le pays, de Minignan à Séguéla, témoignant d’un malaise profond. Des motions de protestation affluent vers les autorités préfectorales, portées par une base militante soudée autour de la figure de Thiam. Dans les cercles diplomatiques, les critiques se font plus audibles : plusieurs partenaires techniques et financiers évoquent déjà la possibilité de suspendre leur appui à la justice ivoirienne, dont l’indépendance est remise en cause. Des agences de notation, jusque-là optimistes sur les perspectives économiques du pays, alertent désormais sur une « dégradation du climat politique » susceptible d’affecter la crédibilité des institutions et l’attractivité des investissements.
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Depuis 2011, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) tient fermement les rênes du pouvoir. Mais à mesure que les élections approchent, la façade d’unité se lézarde. Les accusations d’autoritarisme, de censure, de manipulation du droit électoral et de répression ciblée des opposants se multiplient, même au sein de la société civile. Les tentatives de justification relayées sur les médias d’État ne convainquent plus. Le risque d’un basculement brutal post-2026 n’est plus un scénario tabou pour nombre d’observateurs.
Tidjane Thiam, un symbole d’alternance sacrifié ?
Ancien cadre de McKinsey, ministre du Plan sous Konan Bédié, puis directeur général du Crédit Suisse, Tidjane Thiam présente un profil rare dans la scène politique africaine. Technocrate rigoureux, reconnu à l’international, il incarne pour beaucoup l’espoir d’un renouveau. Son exclusion, paradoxalement, accroît sa popularité. En quelques semaines, il est devenu le symbole d’une alternance empêchée, d’un système verrouillé et d’une démocratie fragilisée. Son cas s’invite désormais dans les réunions diplomatiques à Bruxelles, Washington et Paris. Le régime Ouattara, de plus en plus isolé, voit ses marges de manœuvre se réduire.
Premier producteur mondial de cacao, moteur économique régional, la Côte d’Ivoire est scrutée de près. Les observateurs internationaux redoutent que la dérive autoritaire en cours ne compromette les acquis socio-économiques des quinze dernières années. La stabilité politique, souvent présentée comme la clé du succès ivoirien, est désormais en question. À l’heure où les transitions démocratiques patinent dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, le cas ivoirien fait figure de test majeur pour l’intégrité des processus électoraux sur le continent.
Le compte à rebours est lancé. À Abidjan, les lignes bougent. L’heure n’est plus aux calculs partisans, mais à la responsabilité historique. La Côte d’Ivoire est à un tournant. Et cette fois, le monde regarde.