Alors que s’ouvre ce mercredi 7 mai à Rome un nouveau conclave, l’idée d’un pape africain, longtemps reléguée à la périphérie des spéculations, gagne en poids et en crédibilité. Cinq cardinaux africains, issus d’horizons théologiques et géographiques divers, s’imposent désormais parmi les figures majeures susceptibles d’incarner l’avenir de l’Église catholique.
Dans les travées du Vatican, l’heure est grave, mais les regards s’autorisent un espoir teinté de géopolitique ecclésiale. Un conclave, moment rare et solennel de la vie de l’Église, s’ouvre sans que son issue ne soit écrite d’avance. Pourtant, une question s’impose : le prochain souverain pontife pourrait-il venir d’Afrique ? Le continent, fort de près de 250 millions de fidèles — soit un catholique sur cinq dans le monde —, ne cesse de croître spirituellement à contre-courant du reflux des vocations en Europe. Face à la montée en puissance des Églises évangéliques et à une jeunesse en quête de repères, l’Église catholique se sait attendue, sinon contestée. Et l’hypothèse africaine prend des allures de réponse stratégique.
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Ce ne serait pas la première fois que le Collège des cardinaux déjoue les pronostics en choisissant un successeur inattendu : après l’Italien Jean-Paul Ier, vinrent un Polonais, un Allemand, puis un Argentin. Chaque nomination a été lue comme un geste d’ouverture vers de nouvelles latitudes spirituelles. Envisager aujourd’hui un pape africain ne serait donc pas une rupture, mais la prolongation logique de cette dynamique d’internationalisation. À cela s’ajoute une nécessité presque existentielle pour l’Église : celle de réconcilier une institution deux fois millénaire avec les fractures du monde contemporain.
Or, le catholicisme africain, malgré sa diversité interne, apparaît comme l’un des derniers bastions d’un engagement populaire massif et fervent. À l’heure où la Curie tente de maintenir son autorité morale dans un monde fragmenté, l’Afrique offre à la fois un vivier spirituel et un levier diplomatique.
Des figures contrastées pour une même ambition
Parmi les noms qui circulent, trois se détachent. Le cardinal Peter Turkson, ghanéen, est depuis longtemps perçu comme le fils spirituel du pape François. Ancien préfet du Dicastère pour le développement humain intégral, il incarne une ligne sociale, proche des préoccupations écologiques et de la justice économique mondiale. Mais sa relative discrétion, voire sa réserve face aux réformes internes de la Curie, pourrait le desservir.
À ses côtés, le Congolais Fridolin Ambongo Besungu, archevêque de Kinshasa, séduit par sa rigueur intellectuelle et son positionnement modéré. Défenseur des plus pauvres, figure influente dans un pays traversé par les conflits, il incarne une Église engagée sans être provocatrice. Mais son positionnement sur certaines questions sensibles reste jugé trop prudent par les courants les plus libéraux.
Enfin, l’incontournable Robert Sarah. Le cardinal guinéen, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin, jouit d’un fort soutien parmi les conservateurs. Opposé à l’avortement, critique acerbe des unions homosexuelles, défenseur d’une liturgie traditionnelle et d’une Église « verticale », il séduit une partie de la hiérarchie désireuse de remettre l’institution sur les rails d’un dogmatisme assumé. Sa sortie virulente contre le « fanatisme musulman » a cependant jeté un froid dans les cercles plus œcuméniques.
La tentation de l’Afrique
Cette pluralité de profils illustre l’enjeu fondamental : désigner un pape africain ne saurait être un geste purement symbolique. Ce serait un choix de vision, de doctrine, de géographie. À Rome, certains cardinaux reconnaissent que le moment est peut-être venu de faire entrer l’Afrique dans le cœur battant du catholicisme. « Chaque grand ensemble doit être représenté », glisse un observateur du Vatican. D’autres, plus stratégiques, estiment que ce choix offrirait à l’Église un renouveau crédible sans sacrifier ses fondements.
Dans ce conclave, rien n’est encore joué. Mais le poids croissant du continent africain, sa dynamique religieuse, ses figures influentes et ses défis spirituels imposent une évidence : l’Afrique n’est plus en marge du catholicisme universel. Elle en est l’un des centres de gravité. Et si les cardinaux venaient à voter en accord avec les signes du temps, l’élection d’un pape africain pourrait bien ne plus relever du symbole, mais d’une nécessité stratégique.