Par Djibril Coulibaly
L’Afrique de l’Ouest célèbre ce 28 mai un demi-siècle d’union sous la bannière de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Mais derrière les festivités, un malaise profond agite la sous-région. Omar Alieu Touray, président de la Commission de la Cedeao, a bien tenté de raviver l’esprit d’unité dans un message vidéo solennel, appelant à « rêver avec audace et agir avec courage ». Pourtant, le rêve ouest-africain d’intégration régionale se heurte aujourd’hui à des vents contraires.
La fracture la plus visible reste celle du retrait officiel, prévu en janvier 2025, du Mali, du Burkina Faso et du Niger, désormais unis sous la bannière de la Confédération des États du Sahel (AES). Cette scission marque une rupture historique : jamais, en cinquante ans, la Cedeao n’avait connu un tel départ collectif, porté par un rejet assumé des principes et mécanismes de l’organisation, notamment en matière de gouvernance démocratique et de réponse aux coups d’État.
En toile de fond, une crise de légitimité et de crédibilité. Aux yeux des régimes militaires du Sahel, la Cedeao incarne une institution perçue comme alignée sur les intérêts des grandes capitales côtières – Lagos, Abidjan, Accra – au détriment des préoccupations sécuritaires des pays sahéliens. La contestation de la Cedeao est aussi une contestation d’un modèle économique jugé inégalitaire et d’une gouvernance régionale perçue comme élitiste et déconnectée des réalités populaires.
Lire aussi : Terrorisme au Sahel : la CEDEAO relance son projet de force régionale sans l’AES
Les premières discussions entamées avec l’AES témoignent d’une volonté de maintenir un fil de dialogue. Mais derrière cette diplomatie prudente, se pose une question de fond : la Cedeao peut-elle encore incarner une vision collective face aux dynamiques centrifuges qui s’expriment aujourd’hui ? Ou faut-il accepter une forme de régionalisme à plusieurs vitesses, où certains pays avancent ensemble pendant que d’autres tracent leur propre chemin ?
Ce cinquantenaire n’est donc pas qu’un moment de célébration, c’est un point de bascule. La Cedeao est à la croisée des chemins : soit elle parvient à se réinventer, en se reconnectant aux aspirations profondes des peuples ouest-africains, soit elle risque de voir son projet d’intégration s’effriter, au profit d’alliances parallèles, de replis identitaires et d’un éclatement du rêve ouest-africain.
L’Afrique de l’Ouest regarde l’avenir avec espoir, mais aussi avec une lucidité douloureuse. La balle est désormais dans le camp des dirigeants, mais surtout des peuples, qui sont les véritables bâtisseurs de l’unité régionale.