Plus d’une semaine après la présidentielle du 12 octobre, le Cameroun attend encore la proclamation officielle des résultats. Entre-temps, l’ancien ministre Issa Tchiroma Bakary continue de revendiquer sa victoire, créant un climat d’incertitude politique.
Face à l’absence de reconnaissance officielle, Tchiroma a mis en place une stratégie documentaire consistant à publier les procès-verbaux originaux de 18 départements, représentant selon lui environ 80 % de l’électorat national. Ces documents dont il a commencé la publication dimanche 19 octobre lui attribuent des majorités significatives, notamment 78,31 % des voix dans le Wouri contre 12,41 % pour Paul Biya, et 61,05 % dans le Moungo contre 32,03 %.
Parallèlement, il dénonce plusieurs irrégularités lors du scrutin, telles que des bourrages d’urnes, la modification ou le remplacement de pages de PV, ainsi que des divergences entre les chiffres transmis par les bureaux de vote et ceux relayés par l’administration électorale. Il relève également des incohérences mathématiques dans certains PV, avec des pourcentages supérieurs à 100 %, jugées incompatibles avec les données démographiques.
Tchiroma a adressé des demandes formelles au Conseil constitutionnel et aux commissions électorales départementales pour vérifier l’intégrité des documents et suspendre toute proclamation fondée sur des procès-verbaux falsifiés. Sur le plan international, il a sollicité l’Union africaine, l’Union européenne, les Nations Unies, les gouvernements français et américain, ainsi que les pays limitrophes, afin que les missions d’observation électorale documentent les irrégularités et transmettent leurs constats. Il a également interpellé Paul Biya, l’invitant à « sortir par la grande porte » en reconnaissant la volonté populaire selon les PV originaux.
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Le gouvernement camerounais a réagi en qualifiant l’auto-proclamation de « comportement irresponsable » et d’« imposture », rappelant que Tchiroma n’avait pas été représenté dans la majorité des bureaux de vote. Le ministère de l’Administration territoriale a dénoncé une « démarche conspirationniste et anti-républicaine », visant selon lui à perturber le processus électoral. Il a rappelé que 5 575 observateurs nationaux et internationaux avaient été déployés le jour du scrutin, certains constatant des irrégularités mineures sans remettre en cause la sincérité du vote. Le ministère a insisté sur le fait que seul le Conseil constitutionnel, conformément à l’article 137 du Code électoral, peut proclamer les résultats définitifs.
La coalition G20, regroupant vingt partis d’opposition, a également condamné l’initiative de Tchiroma, la qualifiant « d’illégale » et soulignant que le dépouillement était encore en cours lors de son auto-proclamation. Elle a appelé à ce que la vérité électorale soit établie par le Conseil constitutionnel et a demandé une enquête sur les plaintes relatives à la fraude, aux appels à la violence et à l’intimidation.
Malgré ces condamnations, Tchiroma maintient sa position, affirmant que seul le décompte issu des urnes authentiques sera reconnu. Il appelle la population à rester mobilisée pour « défendre la victoire du peuple » tout en observant le calme et la vigilance. Il reconnaît également des soutiens parmi certains ministres et membres des Forces armées.
Parallèlement, le Conseil électoral a constitué la Commission nationale de recensement général des votes, chargée du dépouillement et de la compilation des résultats. Cette instance, composée de 33 membres et présidée par Essombe Emile, réunit magistrats, représentants de l’administration, d’Elections Cameroon (ELECAM) et délégués des candidats, afin de garantir transparence et impartialité.
La crise révèle un affrontement entre la légitimité institutionnelle -Conseil constitutionnel et Commission de dépouillement- et la légitimité documentaire revendiquée par Tchiroma via la publication directe des PV. Le Conseil constitutionnel a jusqu’au 26 octobre 2025 pour proclamer les résultats officiels et mettre fin à la controverse.
Agence