Algérie : Du crash pétrolier au risque d’instabilité politique

Algérie

Par Anas ABDOUN 

Le crash pétrolier a commencé lorsque l’alliance entre la Russie et l’OPEP a volé en éclat, précipitant ainsi une stratégie de guerre des prix et de conquête de marché ; ce qui a fait plonger le baril Brent de 45 dollars à moins de 30 dollars, en moins d’un mois. Alger, qui avait clôturé son budget avec un prix de référence à 60 dollars le baril, s’est retrouvé otage des guerres de grands producteurs dont elle ne fait plus partie.

Le 11 avril, lors de la visioconférence de l’OPEP+ pour trouver un accord et tenter de rééquilibrer le marché, l’Algérie a concédé à réduire sa production de 240.000 barils/jour. Ce qui revenait à concéder un manque à gagner au moment de l’accord de 216 millions de dollars par mois. La consommation étant en chute libre, le baril de Brent, prix de référence des ventes algériennes, plonge à 19 dollars tandis qu’un certain nombre d’ana- lystes estime la chute sous la barre des 15 dollars très probable dans les jours à venir. Avec une demande en berne et un baril de pétrole qui ne vaut plus grand-chose, l’alternative pour les pays producteurs est de stocker ce brut, en attendant que les cours reprennent, dans la mesure où la fermeture des gisements, en plus d’être onéreuse pose un certain nombre de problèmes techniques et géologiques importants, dès lors que l’on veut les exploiter à nouveau. Or selon les der-nières révélations de la presse indépendante algérienne, il semblerait que les capacités de stockage du pays soient extrêmement limitées. La moitié des centres de stockage n’ayant pas été entretenus, l’Algérie pos-sède désormais une capacité de stockage de 11 jours seulement. Alger se retrouve donc contrainte de vendre une partie importante de sa production à un prix légèrement supé-rieur au coût de production.

De la crise pétrolière à la crise économique

Avec 97 % de recettes d’exportation provenant des hydrocarbures, ce crash pétrolier est annonciateur de désastre économique pour le pays d’autant que les réserves de change sont très minces, seulement 62 milliards de dollars. L’Algérie n’a plus de marge financière pour faire face à la crise budgétaire. En 2015, avec la fin de l’embellie des prix du pétrole, Alger avait déjà perdu 30 % de son budget total contraignant ainsi les autorités à mettre en œuvre des mesures d’austérité pour la première fois depuis les années 80. Pour adoucir le coup, le gouvernement avait également décidé d’utiliser le fonds de régulation des recettes, «le fonds souverain national» doté alors de 32 milliards de dollars pour équilibrer le budget. Mais après deux années supplémentaires de baisse des prix du pétrole, le fonds s’est quasiment tari en 2017.

La volonté du président Tebboune de di-versifier l’économie en utilisant l’argent du pétrole n’est plus possible avec un baril qui frôle les 20 dollars. Le président Tebboune a annoncé sa volonté de réduire considérablement les importations pour préserver les réserves de changes qui, à ce rythme, peuvent soutenir un petit plus d’une année d’importation. Cela semble difficile pour deux raisons. La première est que le tis-su industriel algérien ne produit pas suffisamment pour réduire les importations. La deuxième raison et non des moindres est l’annonce par les Nations unies de pénuries alimentaires. Alger, qui importe l’ensemble de ses besoins alimentaires, environ 13 milliards de dollars, ne pourra réduire ce poste de dépense qui risque même d’augmenter au vu de la récente augmentation des cours des denrées de base comme le riz ou le blé.

En somme, avec l’impossibilité de stocker le brut et un fonds souverain à sec, Alger n’a plus de marge de manœuvre et n’a d’autre choix que d’appliquer une vraie politique d’austérité tant les experts et analystes de l’industrie pétrolière sont unanimes sur le caractère long de cette crise. Un prix du baril à 60 USD est à exclure pour 2020 et 2021. Avec une rentrée d’argent trois fois moins importante et des importations à hauteur de 40 milliards de dollars, Alger risque d’épui-ser rapidement ses réserves de changes. Les deux options dont le gouvernement dispose, à savoir les mesures d’austérité ou la réduction drastique d’importations, s’il est tout de même décidé à la mettre en place, entraîne-ront une forte baisse du niveau de vie des Algériens.

Vers un tournant violent du Hirak ?

Cela fait un peu plus d’un an que l’Algérie se trouve dans une profonde crise politique, une impasse entre les revendications de la population et un pouvoir militaire qui joue la carte de l’essoufflement du mouvement. Le dialogue semble définitivement rompu entre une jeunesse qui est présente dans les rues, chaque vendredi, depuis plus d’an, fai-sant preuve d’un civisme exemplaire et un pouvoir qui continue de proposer les mêmes solutions politiques.

Néanmoins, le civisme de la rue algérienne qui a suscité l’admiration de nombreux observateurs avait pour origine la candidature pour un 5e mandat du président Bouteflika. Ce qui a commencé comme une marche pour la dignité peut prendre un caractère plus vindicatif voire plus violent dans quelques mois lorsque la crise économique et sociale frappera le pays, brisant ainsi le statuquo et la phase d’observation entre le pouvoir et la rue.

La crise économique et la mise en place inéluctable de politiques d’austérité par un pouvoir impopulaire et contesté nous renvoient étrangement, par leurs similitudes, aux contestations de 1988 qui avaient également pour origine la crise économique de 1986. Il faut être prudent avec les comparaisons historiques, mais force est de constater que la nature d’un mouvement de contestation politique détermine son degré de violence. Partout, en Iran, en Irak, au Liban, et même en France, les contestations politiques prennent des tournants violents lorsqu’elles impliquent une violence économique et sociale, fragilisant ainsi les régimes les plus solides.

La contestation politique du régime algérien risque de rassembler d’autant plus, qu’aujourd’hui à l’heure où le pays est au bord d’une crise systémique, traversant une crise sanitaire, économique, politique et potentiellement alimentaire, les tenants du pouvoir qui ont entamé une énième guerre des clans. En effet, depuis la mort du général en chef des armées Gaïd Salah, une recomposition de l’équilibre du pouvoir semble s’opérer avec une nouvelle alliance entre les anciens services de renseignement (DRS) et une partie de l’État Major de l’armée opposée à Gaïd Salah. De nombreux généraux, notamment le commandant en chef des forces terrestres, ce-lui de la coordination des services de sécurité, ceux de la sécurité extérieure et de la sécurité de l’armée ont été destitués pour être remplacés par des proches des nouveaux tenants du pouvoir.

La stabilité de l’Algérie a jusqu’ici reposé sur deux piliers : la croissance économique grâce aux revenus pétroliers et la réticence des générations plus âgées à revivre les traumatismes de la décennie noire. Face à l’affaiblissement des deux piliers, l’Algérie est malheureusement au bord d’une période d’instabilité à haut risque.