L’Afrique du Sud entame une saison politique de printemps lourde d’incertitudes, alternant fermeture des entreprises, chômage galopant et grogne sociale, le tout sur fond d’une croissance atone.
Ford, Glencore et ArcelorMittal SA ont annoncé la semaine dernière leur intention de supprimer des milliers d’emplois, dans un pays qui traîne déjà un taux de chômage record s’élevant à 33 %, contre 45 % chez les 15-34 ans, dont beaucoup survivent grâce à de petits boulots informels.
« C’est une crise (…) C’est incroyablement effrayant », résume Matthew Parks, coordinateur parlementaire du Congrès des syndicats sud-africains, la plus grande centrale syndicale du pays.
La ministre de l’Emploi et du Travail, Nomakhosazana Meth, s’est dite profondément préoccupée par les licenciements en cours qui entraînent d’importantes pertes d’emplois.
« Bien que certains programmes efficaces soient actuellement mis en œuvre, nous sommes très préoccupés par les pertes d’emplois signalées dans certains secteurs », a-t-elle regretté.
ArcellorMittal SA s’apprête à fermer ses portes d’ici fin septembre, entraînant la perte de plus de 3 500 emplois, Ford Motor Company of SA a annoncé la suppression de 474 emplois dans deux de ses usines, alors que Goodyear a congédié, en juillet, 900 employés.
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« Si de grandes entreprises ne parviennent plus à garder la tête hors de l’eau, le gouvernement doit se rendre compte que le pays est au bord d’une catastrophe industrielle », affirme Willie Venter, secrétaire général adjoint du syndicat Solidarity.
Selon les dernières données de Stats SA, 155 entreprises ont fermé en juillet, portant à 908 le nombre des sociétés ayant mis la clé sous le paillasson depuis le début de l’année.
« Il ne s’agit pas seulement de chiffres, mais de personnes qui ont une famille et des enfants à charge et à scolariser. Nous continuerons à faire tout notre possible, pour apporter le soutien et contribuer à la réduction du chômage », a assuré la ministre.
La contribution du secteur industriel à la production est passée de 23,5 % au moment des premières élections démocratiques de 1994, à 13% aujourd’hui, la compétitivité du pays s’étant progressivement érodée sous l’effet conjugué du coût de la main-d’œuvre et de l’inflation.
« Nous sommes pris entre ces niveaux élevés de désindustrialisation et une chimie géopolitique terrible », a expliqué Irvin Jim, secrétaire général du Syndicat national des métallurgistes, un syndicat qui représente la plupart des travailleurs de l’automobile.
Selon une étude menée par Haroon Bhorat, directeur de l’unité de recherche sur les politiques de développement à l’université du Cap, quelque 70 000 entreprises ont été mises en liquidation et 2,8 millions d’emplois ont été perdus depuis 2000. Ces données, a-t-il estimé, sont un « indicateur sous-jacent de la désindustrialisation ».
Et pour cause, les tarifs de l’électricité ont augmenté de 600 % depuis 2006, les services de fret ferroviaire ont chuté et les ports sont devenus parmi les plus inefficaces au monde, limitant ainsi les exportations.
Eskom, la société d’État qui fournit la majorité de l’électricité du pays, est accablée par une dette colossale, en raison d’années de corruption et de mauvaise gestion, de vandalisme et de négligence dans l’entretien des installations.
Le volume de fret ferroviaire de Transnet, l’entreprise publique de logistique, est tombé à 152 millions de tonnes métriques au cours de l’exercice 2023/24, contre un pic de 226 millions de tonnes métriques en 2017/18.
Comme pour ne rien arranger, les exportations sud-africaines vers les États-Unis ont été frappées par un droit de douane de 30 %, le taux le plus élevé d’Afrique subsaharienne.
« Nous assistons à la destruction du peu d’industrie qui reste en Afrique du Sud, un effondrement qui va vider les communautés de leur substance et aggraver le chômage de masse », s’est insurgé dans un communiqué le parti Economic Freedom Fighters, quatrième force politique du pays.
Pour lui, « le gouvernement ne peut pas continuer à se laver les mains alors que l’épine dorsale industrielle de l’Afrique du Sud est démantelée. »
Trois décennies après la fin de l’apartheid, les Sud-Africains noirs restent particulièrement pénalisés par le chômage endémique qui constitue une « urgence morale », selon le vice-président de la république, Paul Mashatile.
« Ce qui est également profondément inquiétant, c’est le nombre croissant de jeunes qui ne sont ni scolarisés, ni employés, ni en formation », a-t-il reconnu, précisant que ce chiffre s’élève actuellement à 3,8 millions.
Le gouvernement d’unité nationale, composé de dix partis après que le Congrès national africain a échoué pour la première fois à remporter une majorité absolue au Parlement, peine toujours à répondre aux attentes d’une jeunesse de plus en plus désabusée.
À l’approche des élections locales de l’année prochaine, huit Sud-Africains sur dix interrogés dans le cadre d’un sondage mondial Ipsos estiment que leur pays va dans la mauvaise direction.
« Les Sud-Africains restent profondément pessimistes quant à l’orientation de leur pays, 80 % d’entre eux estimant que l’Afrique du Sud est sur la mauvaise voie », a déclaré Robyn Williams, d’Ipsos.